
il fait adroitement filer celle de deflous ,
retenant pour lui la première qui devoit
venir à l ’autre ; même fi le cas y échet,
il écarte deux fois mettant les trois cartes
de fon premier écart .vis-à-vis du talon,
duquel & de fes neuf autres cartes il fait
un fécond écart , reprenant hardiment le
-premier, comme s’il ne commençoitqu’à
.écarter ; & à la fin du coup comptant fes
levées pour voir s’il gagne les cartes , il
en garde fouvent quelques bonnes par devers
foi pour le coup fuivant. II aura
treize cartes en premier ; mais que lui
importe , il fait bien à quoi s’en servir,
ne fût-ce que d’un Drétexte pour rebattre
lorfqu’il lui arrive l’un de ces jeux mifé-
rables qui ne fournilfent pas deux cartes
i porter. Hors cela il met la troifième à
profit, & pourvu qu’il y ait dans les autres
îa moindre difpofition à quelque chofe,
fa main couronne l’oeuvre ; aufli eft-ce en
premier qu’il fait fes meilleurs coups. Il
prend toujours tout ce qu’il peut prendre,
& n’en laiffe jamais à l’autre.
S ’il avoit huit belles cartes à porter ,
pour aller jufqu’au fond il ne rendroit
point fon jeu imparfait j il gardera toutes
ces huit cartes., mettant fon écart bien
plié à fon côté droit., la tête ou pointe
de cartes qu’on appelle bord à bord de
la table ; puis agençant feCrettement fur la
paume de fa grande patte droite, la peinture
en dehors, une carte ou deux qu’il
a de trop, tandis qu’il montre de fa gauche
ce qu’il doit compter, & qu’il voit l’autre
occupé à cela , il vous plaque & étale fa
droite garnie en deffous de fon rebut fut
fon écart défedueux , & le tire à lui pour
le regarder , en glilfant fa main qui le
conduit hors de deffus la table , comme
s’il y tenoit en couliffe ; & pour que cette
aétion d’appliquer ainfî fa main fur fon
écart pour le tirer, ne puifle le convaincre
de tricherie, il affeâe de faire toujours
cela , quand même fon écart efl le plus
complet, avec cette différence pourtant
jqu’aiors le dedans de fa main efl ouvert, 1
& qu’elle parolt toute entière quelquefois,
quoiqu’avec plus de circonfpedion ; il fe
lert du même artifice, & n’en écarte que
trois, bien qu’on lui en lailfe une fur
de prendre fon temps pour gliffer la quatrième.
Si l’autre joueur venant à s’apper-
cevoir de la tricherie met la main fur l ’écart
avant que le pipeur y ait fait fon application
, qu’aura-t-il à répondre ? Je ne compterai
rien, monfîeur, lui dira-t-il, fi j ’ai
trop de cartes ; & pendant qu’il voit ton
adverfaire occupé à vérifier qu’il lui en a
lailfé une, il coule furtivement de l ’autre
côté quatre cartes fur la table , n’oubliant
pas de mettre en-deflus celle qu’on lui aura
laiflee, puis foutient qu’il n’a pas encore
pris, montrant le talon en fon entier &
à moins qu’en fe précipitant il n’ait fait
un paquet de cinq au lieu de quatre, la
raifon paroîtra pour lu i, & la dupe fera
contrainte d’avouer fa méprife.
Si le rufé fraudeur n’avoit en premier
que quatre bonnes cartes, à porter, que
fera-t-il ? Avec ces quatre bonnes .cartes ,
il en garde encore trois autres ies plus
méchantes de fon jeu , & après avoir
compté deux fois fur la table avec affeâa-
tion les cinq de fon écart qu’il lailfe éparpillées
, en comptant les fept autres , il
réferve adroitement les trois méchantes
fous fa main gauche, la peinture contre
la paume, & mettant devant lui les quatre
bonnes bien pliées, de peur qu’on ne s’ap-
perçoive de la fraude , il foulève de deux
doigts de fa droite le talon, & plus prefle-
ment qu’iJ ne peut fe dire, le pofe fur fa
gauche, couvrant les trois méchantes cartes
réfervées , lefquelles il tire tout aufli tôt
en-deffotis de fa droite, en les comptant
une, deux & trois, & les remet fur la table
pour fervir de talon ; puis foudain mêle
les huit fans perdre de temps à les compter
avec les quatre de fon jeu qu ’il doit rendre
par cet artifice, d’autant meilleur que celui
de l’autre en eft appauvri s’il arrive, par
un hafard extraordinaire, que malgré toutes
fes rufes il ne rencontre que du fretin dans
fes
fes huit, Sc que l’autre, fans rien attendre
■ du tajon, ait déjà un jeu tout -fait qui lui
donne la partie , il a recours à des em-
portemens affreux.
Le pipeur a cela de bon , qu’il efl fort
fidele à pofer le jeton quand ori le regarde .
faire; mais après le jeu marqué., pendant
■ qu’il occupe les yeux en montrant de fa
main gauche ce qu’il a, pour lors fa droite, ;
négligemment étendue fur la table avec un
jeton fous le pouce, s’approche petit à
petit des dixaines marquées pour y faire
l ’addition préparée, ne laiffant pas au fur-
plus de tâcher en comptant de gagner deux
■ ou trois points de plus , & quelquefois
même de compter , comme par inadvertance,
fur le jeu de l ’autre , quand il en
a compté davantage que lu i, fauf à fe ré-
trader s’il s’en apperçok.
Les tromperies que nous venons de
rapporter fe peuvent appliquer à toutes
fortes de jeux , 8c au lanfquenet comme
aux autres. Cependant on n’ y peut ajouter
la tromperie des cartes arrangées, à moins
qu’on ne fo it, par exemple, huit ou neuf
,à l’entour d’une table à jouerau lanfquenet.
Si quelque filou efl de la compagnie, quand
î l aura la main il efcamotera adroitement
le jeu de cartes en en fubftituant un autre
qu’il aura tout prêt à fa place, lequel il
débattra fi bien , les démêlant une à une à
plufieurs reprifes , que cela ôtera l’envie
aux autres de les rebattre après lui ; il les
donnera enfuite à couper à qui il appartiendra
, & pourra fans aucun rifque parier
de faire toutes lés huit devant la lîenne ,
fur qu’il fera de la fuite des cartes qu’il
aura ainfî difpofées.
Les cartes, quoique battues & coupées,
ne laifferont pas que de demeurer dans le
même ordre auquel elles auront été mifes.
En voici le fecret en trois petits diélons qui
en facilitent l’arrangement.
Le roi veut l’as ;
La dame dîme les fîens,
Et le valet fuit les nouvelles.
Jeux mathématiques.
On fait fuivre le huit après le ro i, puis
l ’as, la dame, le dix & le fix ; le valet ,
le fept & le neuf entremêlant les quatre
couleurs à fa fantaifie , pique après coeur ,
& enfuite trèfle & carreau. Les trente-fix
cartes ainfi arrangées , on les mêle &
démêle , de manière qu’elles fe trouvent
toujours en même fituation , & pour la
coupe, cela n’y fait rien, quand bien même
on fes recouperoit dix fois ; car par quel
bout qu’on commence neuf cartes fe fui-
vront toujours, toutes différentes l ’une de
l’autre, & reviendront au même ordre.
Cependant quand chacun des huit voit que
celui qui a la main n’a point carte double ,
c’efi à qui recouchera fur la fienne & fur
celle1, de fon compagnon , & il n y en a
point qui ne veuille bien gager le double
contre le Ample qu’il n’achevera pas la
main j le filou fait mine d’abord de refufer
le pari, puis enfin l’accepte , & leur en
fait tâter jufqu’à la dernière.
C’efl à faire payer que triomphent d’ordinaire
les pipeurs. Mais pour amorcer la
happelourde , ils font quelquefois des gageures
qu’ils font affurés de perdre, principalement
quand par de telles gageures
ils peuvent engager le joueur à apporter
fur-le-champ quelque fomrne confidérable.
Süppofons qu’-on joue au grand piquet,
& que celui qu’on veut duper foit premier
en cartes , & qu’il ne lui faille plus
que fept ou huit points, & à l’autre un
repique , lui venant en main une blanche
dans laquelle foient les quatre dix & une
quintebaffe, vous voyez bien qu’il a gagné
fur table, fa blanche fe comptant devant
tout autre chofe , & quand bien même
l’autre l’auroit aufli , fa quinte baffe lui
donne la partie : cependant le filou qui a
les deux quatorze d’as & de ro i, une quatrième
majeure & cinquante-huit de points^
& tout cela devant que d’écarter, dit qu’il
n’a pas encore perdu , & propofe le pari
demandant, parce qu’il n’en faut plusguères
à l’autre , qu’il mette cinquante piftoles
contre dix , & fur ce qu’il répliqué peut-
e