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Nous la faifons de tous écots>
Elle eft prife à garant de toutes aventures :
Eft-on fot , étourdi, prend-on mal fes mefures ?
On penfe en être quitte, en accufant fon fort.
Bref, la Fortune a toujours tort.
III. Le bon ou mauvais génie, le bon ou
mauvais ange.
Les anciens ont cru que chaque homme
en naiffant avoit un bon & un mauvais génie
; '& parmi quelques nations modernes,
les gens crédules attribuoient à un bon
ou mauvais ange tout ce qui leur arrivoit.
On prétendoit même que lî l’on gagnoit
au jeu, c’étoit par la force du bon génie ,
enforte que ceux dont le bon génie, ou ■
le bon ange, était fupérieur à celui des
autres , les gagnoient infailliblement. Ces
idées fuperftitieufes n’ent pas fans doute
befoin d’être réfutées , & nous ne devons
pas nous y arrêter. Il n’y a perfonne aujourd’hui
qui croie qu’il y ait un génie ,
ou un ange, qui falfe gagner dans des jeux
de hafard ou dans les loteries.
IV . Dieu ejl-il Vauteur du bonheur ou
du malheur dans les jeux de hafard
ou dans les loteries ?
Cette propofition peut avoir trois fens
différens qu’il eft néceflàire de bien diflin-
guer , fi l’on veut entendre ce que l’on
dit. i°. Elle peut lignifier non que Dieu
intervient d’une manière particulière
pour faire que le fort foit en faveur
de quelqu’un , mais Amplement que
Dieu ayant fait toutes chofes,les con-
fervant comme elles font , & les con-
duifant comme il le trouve à propos ,
on doit regarder les fuites du fort ,
de même que tout le relie, comme un
effet de la providence générale. Dans ce
fens, on peut dire de ce qui nous arrive
enfuite du fort ou de quelqu’autre accident
que ce fo it , cela nous vient de
Dieu, quoique nous ne croyions pas que
l’Etre fuptême y foit intervenu particulièrement.’
B R E
a®. Cette propofition fignifie que Dieu
fachant tout ce qui arrive , à quelqu’oc-
cafion que ce fo it, n’a pas voulu arrêter
le cours des caules naturelles pour créer
ou pour arrêter le bonheur de quelqu’un.
3°. La propofition peut faire entendre
que Dieu intervient fi particulièrement
dans les effets du fort, qu’il agit lui-même
immédiatement pour les produire. Mais
il feroit abfurde de faire intervenir Dieu
comme l’auteur immédiat, & agiffant d’une
manière furnaturelle, du bonheur & du
malheur des joueurs. Si l’on veut que Dieu
préfide fur toutes fortes de forts & les
falfe tomber par des volontés particulières,
il faut^ donc en même - temps fuppofer
que l’Être fuprême fait des miracles tous
les jours en faveur de gens qui affuré-
ment n’en font pas dignes , & dans des
lieux où perfonne de raifonnable n’oferoit
penlèr que ceux qui jouent aux dez &
aux cartes engagent tous les jours la puif-
fance divine à lé déclarer en leur faveur.
Concluons que les mots de bonheur &
àemalheurne lignifient rien du tout dans les
différens fens qu’ün leur donne ordinairement.
La fuppofition du bonheur ou du
malheur de tel ou tel joueur eft une ab-
furdité. Parce qu’il aura louvent tenté la
fortune avec fuccès on ne peut pas en
conclure qu’il réullira toujours. On peut
dire qu’il a été heurehx , mais non pas
qu’il l’eft , ce prétendu bonheur pouvant
l’abandonner à l’inftant.
B R E L A N. ( jeu du )
Brelan , jeu de cartes de hafard,
d’autant plus dangereux qu’il eft très-
attrayant par l’efpérance qu’il donne au
joueur , de faire un gain fans bornes ,
ou de réparer en un coup la perte de dix
féances malheureuses.
Le Diétionnaire des Jeux 8c le Diâion-
naire des Mathématiques donnent l’un &
l’autre une connoiffance exaéte dej réglés,
B R E
de la marche & des chances de ce jeu ;
c’eft pourquoi nous nous bornerons ici à
rapporter les obfervations de Montmor
à l ’égard de ce jeu. Le brelan & généralement
tous les jeux f&ù l ’bn renvie ,
font fujets aux mêmes inconvéniens mentionnés
au jeu d’ombre, 8c meme a de
plus grands. Suppofons, par exemple ,
qu’il y ait trois joueurs , Pierre, Paul.&
Jacques ; Pierre paffe, Paul tient le jeu ,
& Jacques renvie ; Paul tient le renvi, &
va de tout ce qu’il a devant lui : ce fera,
par exemple, 30 A , le jeu étant A . O11
demande fi Jacques, que l’on fuppofe avoir
quarantç-un en main, & qui eft dernier,
doit tenir ou abandonner ce qu’il a déjà
mis au jeu , par exemple 14 A. Je lais
que bien dès perfonnes n’héfiteroient pas
à décider là-delfus pour ou contre , chacun
cohfultant fon humeur plutôt que
l ’évidence. Pour moi, dit Montmor, je
crois pouvoir alfurer qu’il eft impcfiible
de déterminer exaâement quel parti Jacques
doit prendre, & ma raifon eft qu il ne
fuffit pas à Jacques, pour fe déterminer
avec raifon, de favoir qu’entre 134/96 façons
différentes dont les cartes de Pierre
& de Paul peuvent être difpofées, il n’y
en a que 3041 qui puiffent faire perdre
Jacques. Il faudroit qu’il y eût des règles
certaines & connues aux deux joueurs,
pour favoir à quelle carte il faut tenir le
je u , & jufqu’oii il eft à propos de tenir
ou de pouffer pour chaque jeu. Alors
Jaccqués pourroit .compter que Paul a l’un
des jeux qui ont pu lui permettre d’aller
de tout, & fur cela il pourroit à-peu près
fe déterminer; je dis à-peu-près, car il
ne feroit pas sûr que Paul, pour lui donner
le change, ne pouffât à un jeu fort
inférieur à celui qu’il devroit avoir pour
forcer avec raifon, & par-là Jacques feroit
expofé à manquer de gagner , & même
à perdre fes .avances lorfqu’il auroit du
gagner. Ces réflexions & quelques autres
pareilles que tout le inonde peut faire,
font fuffifantes pour faire connoître qu’il
B R E !ƒ
y a en ces matières des problèmes qu’il
eft difficile de réfoudre.
PROBLÈME. Pierre , Paul & Jacques
jouent au brelan ; Pierre & Paul tiennent
le jeu , & Jacques paffe. Lu carte qui re-
, tourne efl le roi de coeur ; Pierre e f premier ,
" il a Vas & le roi de carreau, & l as de coeur ;
Paul a l'as , le neuf & le huit de trefle.
Deux des fpe&ateurs qui ont vu chacun les
jeux de Pierre et de Paul, & rtont point vu
celui de Jacques , difputent pour. Javoir lequel
des deux joueurs, Pierre & Pauf a le
plus beau jeu & le plus d’efpérance de
gagner. L’un des deux , Jean, parie pour
Pierre : Iautre, nommé Thomas, parie pour
Paul. L'argent delà gageure efl nommé A.
On demande quel eft le fort des deux fpec-
tateurs , Jean & Thomas , 6 ‘ ce qu'ils devraient
mettre chacun au jeu pour parier ,
fans avantage , ni défavantage.
R. Il faut remarquer, i°. que Jean gagnera
fi les trois cartes de Jacques font ou trois
coeurs , ou trois carreaux.
a°. Qu’il gagnera encore fi l’une des
trois étant un pique ou un trefle , les
deux autres font ou deux coeurs, ou deux
carreaux.
30. Que fi l’une des trois cartes de
Jacques eft un coeur ou un carreau, les
deux autres étant des piques , Jean aura
gagné.
40. Q u ’il gagnera encore fi les trois
carte’s ‘ de Jacques font un carreau , un
coeur & un pique, & que dans toute autre
difpofition des cartes de Jacques il a
perdu.■
Cela pofé , il ne relie plus qu’à examiner
combien il y a de hafards différens qui
donnent chacune de ces quatre dîlpofi-
tions différentes des trois cartes de Jacques.
Or , on trouvera par les tables qu’il y
en a vingt pour la première , deux cents
vingt pour la fécondé , deux cents dix
pour la troifième , & cent foixante-quinze
pour la quatrième, & par conféquent le