
La réferve efl une tricherie qui fe peut
appliquer à toutes fortes de jeux , que
quelques-uns font très-fubtiletnent , cachant
deux ,ou trois cartes fous la main
qu’ils tiennent appuyée, moitié deffous,
moitié deffus la carne de la table, & en
reprenant de l’autre les cartes après qu’on
a remêlé, ou même qu’on a coupé. Ils favent
approchant leur main droite deleurgauche
donner le tour St placer la réferve à leur avantage.;
que sais la mettent en dernier en battant
les cartes avant que de donner à coup
e r, ils vous en laifferonten deflTus une ou
deux de travers., s’avançant plus que les
autres, afin quece foit par-là qu’on coupe,
comme il arrive d’ordinaire. Ou bien
vous bâtiront le pont, comme il a été ci- j
;deflus remarqué, ce qui fait qu’il faut tou- j
jours fe défier de ceux qui en jouant vous
courbent les cartes, parce qu’ils le font
rarement fans fujet, & que c’efl le plus
fouvent parce que celles qu’ils ont en réferve
étant ainfi pliées fous leurs mains
ils accommodent de même les autres
cartes, de peur que la fourbe nepesçât par
la difparité. Combien en voit-on de ces
adroits fripons qui en coupant tiennent
leur réferve fous la droite vers le poignet
& la font fubtilement gliffer en pofant la
coupe en bas fur l’autre monceau de cartes
qui relie auprès , ce qui leur feroit encore
bien plus facile., coupant en long fi on ne
s ’en donnoit de garde.
_ Un Napolitain avoit rafiné fur cette fub-
-tilite , St portoit attaché s fo.n bras gauche
•une certaine pincette de fe r, qui par le
moyen d’un relfort qu’ilfaifoitjouer, appuyant
le coude fur le bout de la table,
,S avançoit jufqu’au milieu de la paume de
la main , lui apporioit fa carte de réferve,
& lui remportoit fa carte de rebut félon
le jeu où tel échange pouvait lui être le
plus profitable, obfervant de fouvent chan
ger de cartes pour éviter la rencontre qui
le feroit pu faire de deux pareilles, quand
il auroit pris d’un autre jeu de quoi faire
fa réferve, j
Voici une machine qui avoit quelque
| rapport avec celle du Napolitain. Un drôle
1 avoit fait faire exprès pour tricher au jeu
du hooca; le bout, au lieu d’être en forme
de pincettes , étoit comme une cuiller
qui s avançoit aulîï julqu’au milieu de la
paume de la main , & fe retiroit dans fa
manche par le moyen d’une détente qui
étoit fous le bulc de fon pourpoint ; &
quand cetoit fon tour de tirer une boule
du fac , feignant de la remuer il en faifoit
entrer une dans fa cuiller , qui fe recouloit
dans fa manche, & en aveignoit une autre
dans fa main , qu’il donnoit au maître de
la banque; & tandis que chacun s’empref-
ioit pour voir le point de cette boule tirée
, lui ne s occupoit qu’à reprendre de
la cuiller, fous fon manteau, celle qu’il
avoit remife en referve dans fon bras ; un
camarade afiide qu’il avoit à fes côtés alloit
dehors en aveindre le billet pour en favoir
le point, & la lui rapportoit auffi-tôt pour
la replacer dans la cuiller jufqu’à ce que
fon tour revint de remettre le bras dans le
fac , qui alors rendoit à la main dans la
cuiller la boule qu’on lui avoit confiée.
Cependant le compagnon, alfuré du point
qui s’alloit tirer, ne s’étoit pas épargné à
iechargerfiir le tableau, en plein, en deux,
en quart, en tiers fur là raie dans la licorne,
St de toutes les manières. Us avoiènt encore
nn autre moyen pour attraper le banquier,
avec gros comme une noifette d’une efpèce
de poix mafiie noire, préparée de la couleur
du bois des boules dont on fefervoit,
qu’ils étendoient avec le pouce fur l’une
en i’aveignant, à un doigt près de fon embouchure,
& prenoient foin de bien retenir
le nombre de fon billet; puis quand
le bras fe remettoit dans le fac, & qu’on
parvenoit en tâtant à fenfir lous fa main
la boule gaudronnée, le mot du lignai
concerté fe donnoit à i’autre de la Coterie,
qui, devant que la boule fût hors du fac,
plaçoit fon argent au lieu où l’attendait la
recette.
On invente quelquefois des jeux tout
exprès pour attraper ceux qui s’y laiffe-
rom embarquer ; témoin le trut-à-vent
que cinq ou fix feigneurs de la cour d’un
grand prince qui étoit en l’une des villes
de fon appanage, fuppoferent être un jeu
étranger qui fe jouoit avec trois flambeaux
arrangés d’une certaine fymétrie , & un
quatrième qu’on plaçoit plus ou moins
loin des autres, en difant crut. Les termes
lés plus communs en ce jeu myftérieux
étoient trenet St truvet , pour dire j ai
gagné ; bredouille, quand la partie etoit (
double; & farfaille, qui fignifîoit que le
coup étoit manqué. Cependant ceux qui
s’entendoient avec le prince pour le divertir,
avoientmis comme lui bon nombre
de piftoles fur la table , dont le tas croiffoit
St diminuoit à chacun à mefure que le
flambeau les faifoit trevet, bredouille, ou
farfaille; fur quoi ils feignoient quelquefois
de grandes difputes entre eux, fou-
tenant que le coup n’étoit pas farjaille,
& alors les autres, après avoir foigneufe-
ment confidéré la pofition des flambeaux.,
décidoient s’il étoit farfaille ou non.
Quelques-uns des furvenans tentés, &
par l’envie qu’ils avoient de jouer à quelque
jeu que ce fû t, & par l’éclat de l’argent
comptant, fe mirent du pari , & y perdirent
allez eonfidérablement fans avoir pu
comprendre aucune règle du jeu-.
Quant au quinze, il peut y avoir autant
de tricheries à ce jeu qu’a pas un autre;
car outre les générales qui peuvent s’y
appliquer , au lieu du miroir qu on cachoit
anciennement dans le pommeau de fon
épée ( ce qui pafferoit à cette heure pour
une fîneffe trop groffière ) on fe fert maintenant
de petites glaces miles en oeuvre
dans des baguer qu i, tournées en dedans
de la main, repréfentent parfaitement la
carte de deffous ; même peur lilîer les
cartes baffes,, on a trouvé l’ufage d’un certain
vernis âpre qui lie fent fous le doigt
auffi bien que fe fentent les peintures par
ceux qui s’y font ltilés. En tout cas , une-
épingle efl bientôt fichée en-deffous de la
carte fans la percer ; St félon l ’endroit où
fe fent fous la main la piquûre qui eft ra-
boteufe , on juge d’abord quelle carte on
manie ; il y a même encore la boffe qu’on
fait fur une carte en y enfonçant le doigt,
ce qui fe remarque pareillement en-deffous
au toucher.
Un joueur qui efiimoit tout fon temps
perdu lorlqu’il ne fe donnoit point au
quinze, an brelan , ou à la prime, ne s’em-
barquoit pourtant jamais au jeu qu’avec
un mafque fur le vifage , parce qu’il étoit
défiant au poffible, & qu’il appréhendoit
qu’on ne reconnût à fa mine & au changement
de fa couleur s’il avoit de quoi
loutenir les défis qu’on lui faifoit; ce qu’il
connoiffoit bien admirablement aux autres,
remarquant bien à celui-ci que les veines
du nezlui enflaient quand il avoit beau jeu j
& à celui-là , qu’il rougiffoit ou qu’il blê-
miffoit lorfqu’il fe fentoit engagé mal-à-
propos à rifquer de trop groffes vades. Une
longue étude des différens lignes de har-
dieffe, de confiance , d’incertitude St de
timidité en de pareilles rencontres l ’aveit
rendu infaillible par de tellesconjectures.
Il ne faut pas jouer fi on ne fait toutes
les rufes du jeu , non pas pour s’en fervir ,
cela feroit d’un malhonnête homme, mais
pour fe garder qu’on ne s’en ferve contre
| vous.
Un pipeur affez connu & fort dangereux
a fait beaucoup de dupes par fes fubtilités-
qu’il eft bon de dévoiler.
Le piquet fans fix efl le jeu où il ra-
fine davantage. Quand il eft en dernier ,
il;tâche à faire la réferve en-deffous ,. fe
fervant de fa grand’mairr gauche pour
couvrir trois as ou trois rois ; la peinture
vers la paume ; & quand on a coupé ,
reprenant le jeu de la droite, il le remet
fubtilement fur fa gauche ; enfuite de quoi
non content de cet avantage,s’il reconnoîc
en donnant l’une des cartes qu’il a marquées
parle coin avec un coup d’ongle,.