
de ces corps , l’attraction , pour ne pas
parler de plufieurs autres caufes particulières
, les ont fait tomber. Un corps
demeureroit éternellement dans l’état où
il eft, fî quelque caufe aéiive ne le forçoit
d en fortir. C’eft un axiome de phyfique
qu’il n’eft pas befoin de prouver ici.
La féconde efpèce d’êtres efl de ceux
que nous appelions efprits qui, entre di-
verfes facultés, ont une liberté qu’ils
exercent dans une infinité de rencontres.
Us peuvent à tous-momens faire ou ne
faire pas ce qu’ils fon t, le faire d’une
manière ou d’une autre , & ils fe déterminent
dans les choies obfcures & indifférentes
j ou qu’ils regardent comme telles
par caprice & fans aucune raifon , fî ce
n’efl parce qu’ils le veulent, & fans qu’il
intervienne quoi que ce foit qui les engage
néceflairement à juger ou à vouloir. A
cet égard, on peut dire que la détermination
libre d'une.intelligence efl un effet
du hafard , parce qu’aucune caufe nécef-
faire ne le produit ; & comme les efprits
agiffent beaucoup fur les corps, il arrive
que leur intervention fait qu’il y a du
hafard dans des mouvemens, où autrement
il n’y en auroit point. Par exemple, fup-
pofons qu’une boîte foit pleine de billets,
ils demeureront dans la même fituation
jufqu’à ce qu’on la remue , & celui qui
fe trouvera au-deffus des autres fera infailliblement
pris. Il n’y a point là de hafard.
Mais fi l ’on fecoue plufieurs fois cette
boîte, fans favoir quel changement cela
fait à l’ordre des billets -, la volonté des
hommes intervenant dans cette rencontre,
& d’une manière tout-à-fait libre, dès-lors
il y a quelque hafard. Il efl en leur dif-
pofition de fecouer la boîte ou de ne la
fecouer pas, de la fecouer plus ou moins
& de la tourner de diverfes manières : en
la fecouant & en la tournant, ils fuivent
purement leur caprice, fans favpir l’effet
que cela produira j après quoi l’on prend
le billet qui fe trouve au-deffus des autres,
fans favoir non plus quel il fera.
C’efl ainfi que fe tirent les billets d’une
loterie , & l’on peut dire que c’efl le pur
hafard qui fait que le billet, d’un certain
homme fe trouve combiné avecfùn lot.
On voit par - là que le hafard n’efl proprement
rien , & que quand on dit que
le hafard a produit cette combinaifon, on
ne veut dire autre chofe fi ce n’eft qu’elle
ne s’eft pas faite feulement par un effet
mécanique du mouvement des billets,
mais par le concours de quelques intelligences
qui y ont aidé librement, & fans
favoir qu’elles le faifoient ni comment
elles le pouvoient faire. Ainfi le mot de
hafard efl plutôt un mot négatif, s’il faut
ainfi dire, qu’affirmatif, ou le nom d’une
idée négative. 11 marque feulement qu’il
n’eft intervenu aucune caufe qui ait produit
néceflairement un certain effet, ou
qui feroit fortie de fon intelligence pour
le produire.
Furetiere remarque que le hafard fe
perfonnifie quelquefois , & fe prend pour
certain être chimérique auquel on attribue
fottement les effets dont nous ne connoiffons
point la caufe.
Avouons que l’on peut quelquefois
attribuer au hafard des effets qui ont une
caufe déterminée & néceffairep mais c’eft
par pure ignorance que l’on parle ainfi,
à moins qu’on ne voulût abufer de ce
mot. Du refte il eft certain , comme on
vient de le dire , que e’eft un être chimérique,
& que l’on ire ‘peut perfonnifîer
que par une licence poétique , qui eft
néanmoins fîautorifée pari’ufage, qu’ily a
peu d’expreffions propres qui le foient
plus.
Cela étant ainfi, il eft vifible que le
bonheur, qui eft une fuite de ce hafard,
eft une pure chimère dans le fens où on
l’entend. On prétend que le bonheur efl
attaché à certaines gens ,& en même-têmps
que ce bonheur eft un effet du hafard ;
ce qui' eft contradiéloire. La nature du
hafard confifte, difons-nous, en ce qu’il
dépend de quelque caufe libre , & qui fe
détermine par pur caprice, de forte qu’il
ne peut rien avoir de réglé : & l’on prétend
néanmoins que le bonheur dont il
s’agit eft fixé en telle manière qu’il arrive
à un certain homme. C’efl manifeftement
fe contredire , puifque c’efl affurer qu’un
effet eft déterminé & non déterminé en
même temps. Ainfi le hafard n’étant rien
en foi , le bonheur attaché à quelqu’un
eft moins que rien , s’il eft permis de
parler de la forte. Le premier eft le nom
d’une idée négative, & le fécond celui
d’une idée contradidoire.
Il faut faire le même jugement du mot
de fortune, dont on fait tantôt une caufe
obilinée à bien faire aux uns & à perfé-
cuter les autres, & tantôt une caufe qui
n’a rien de fixe ni d’arrêté. Enfin , les
auteurs anciens & modernes font pleins
d’expreffions oppofées les unes aux autres,
lorfqu’ils parlent de la confiance ou de
l’inconftance de la fortune. Il n’y en a
point d’autre raifon, fi ce n’eft que c’eft
un fantôme auquel l’irnagination ajoute &
retranche ce qu’elle veut & quand elle le
trouve à propos. On dit " ordinairement
que les hommes font le jouet de la fortune,
mais on parleroit beaucoup mieux
fi l’on difoit que la fortune eft notre jouet,
puifque nous lui donnons & que nous lui
ôtons tout ce que nous voulons.
Ce qui vient d’être dit des mots de hafard
& de fortune, peut aufli s’appliquer
à celui du fort, qui lignifie la même chofe,
mais qu-’on emploie plus fréquemment'
dans la poéfîe que dans la piofe. Tous
ces mots ne font que des termes négatifs qui
ne fervent qu’à faire comprendre que l’effet
dont on parle , n’eft pas la conféquçnce,
d’une caufe néceffaire & déterminée à la
‘produire.
On ne peut rien répliquer de raifon-
nable à cè qüi vient d’être dit du bonheur
que l’on prêt; nd venir de la dejlinée où
du hafard. Cependant une infinité de gens
, -qui-ne fauroient rien établit de contraire,
en raifonnant fur des principes intelligibles,
perfifteront à foutenir que, quoi
qu’on puiffe dire , il y a du bonheur &
du malheur dans ce qui dépend du hafard.
Ils croiront toute leur vie que certaines
gens font heureux ou malheureux , en des
jeux où ils avouent que le hafard régné.
Ils diront à la vérité qu’ils ne favent ce
que c ’eft que ce bonheur ou ce malheur,
ni d’où ils viennent, mais qu’une longue
expérience leur a appris que l’un & l’autre
font des chofes qui ne font que trop
réelles. Ils tomberont d’accord qu’ils ne
fauroient montrer que les raifons que nous
avons rapportées font fauffes -, mais appuyés
de leur prétendue expérience , ils demeureront
opiniâtrement attachés à leurs préjugés.
Cette efpèce de gens qui ne rai-
fonne que peu ou point, n’embraffe point
une opinion à-demi,, ni dans la difpofi-
tion de l’abandonner fi on lui apprend
quelque chofe de meilleur. Aufli ce n’eft
pas dans l’efpéranee de gagner cette forte
de gens qu’on écrit ceci. Mais il y en a
d’autres qui entendent raifon & qüi ne
veulent rien croire fans favoir pourquoi,
qui ont néanmoins de la peine à fe démêler
de l’objeétion que l’on tire de ceux qui
gagnent prefque toujours aux jeux de hafard
, ou au moins à qui il entre un jeu
fi beau qu’il n’y a point d’adreffe qui puiffe
réfifter à, leur bonheur ; & d’autres, au
contraire , à qui il vient prefque toujours
un fi mauvais jeu qu’ils perdent nécef-
fairement. Il n’y a prefque perfonne qui
ne croie connoître quelqu’un qui ne foit
un exemple de ce bonheur ou de ce
malheur. Il faut donc tâcher de faire voir
que cette objeâion n’eft d’aucun poids.
On ne difconvient pas qu’il n’arrive
fouvent que pendant une heure , une
après-dînéeou unefoirée,un joueur gagne
aux dëfc , aux cartes & aux autres jeux ,
qui font tous de' hafard ou dans lefquels
il y a de l’adreffe mêlée. J’avoue aufli
qu’il y a eu des gens qui -, avec peu de
billets ü ont plus gagné aux loteries que