
être n’avoir pas tant d’argent fur lui , le
filou offre de confîgner les dix piftoles
qu’il met en mains tierces, jufqu’à ce que
l’autre ait été quérir les cinquante fîennes,
& confent cependant que les jeux & le
talon (oient cachetés avec des écriteaux qui
marquent qui eft premier ou dernier , &
ce qu’il en faut à chacun, La dupe fe délie,
mais comme il ne met point au jeu , il
accepte le pari, va prendreconfeil, trouve
qu’on ne peut l’empêcher de gagner, &
cherche dans fa bourfe, ou celle de fes
amis , de quoi apporter pour conclure la
gageure. Qu’eft-il arrivé de tout ceci? Le
filou qui s’étoit bien attendu à perdre fes
dix piftoles , avoue , quand les jeux font
décachetés, qu’il a perdu, & engage l’autre
feulement à lui donner fa revanche d’un
écu la partie, comme ils jouoient auparavant.
Ainfî, ils joueront trois ou quatre
parties but à but ; tantôt le filou en gagnera
une , tantôt l’autre la regagnera ; enfin ,
viendra quelque coup où le filou n’ayant
que vingt points de marqués, l’autre fera
au pique, & fe verra dans la main , en
premier , avant que d’écârter, une fep-
tième major de carreau ,, l’as & le valet de
trèfle, l’as & la dame de coeur,.& le dix
de pique..
Avoir une feptième major en premier,
trois as, & rompre de tout à qui ne faut
qu’un foixante ; il femble que fi' l’adver-
faire vouloit bien encore hafarder un pari
on feroit volontiers de moitié de l’autre
près de cent piftoles contre dix. Qu’arrivera
t-il ?
On n’en gagera que foixanté contre le
filou qui en mettra quinze des fîennes.
Chacun écartera. Le filou ne pourra pas
rompre la feptième, ni les trois as ,. mais
il aura tous les piques, hormis le dix, &
par fon point empêchera le pique à l’autre
qui en comptera feulement quarante de
ce coup-là avec les quarante-cinq qu’il
avait’aUj aravant, enforte qu’il lui en faudra
encore quinze pour achever la partie p ie ;
filou n’en comptera lui que huit ou neuf,
8c comme par méprife fera encore l’autre
premier. Alors le filou mêlera les cartes ,
les fera couper à l ’autre , & lui donnera
une quinte de valet de trèfle avec l’as ,
le roi & le valet de coeur, le roi & le fîx
de pique , l’as & le dix de carreau. L ’écart
eft bien aifé à faire en portant la quinte
& F ’as de trèfle. Dans les fix cartes qui entreront
au premier ,. fe trouvera le roi de
trèfle & celui de carreau ; mais malheureu-
feinent la première des deux qu’il lailfera
fera la dame de trèfle. Cependant le filou
ne fauroit faire plus de points que l’autre
joueur, mais il en fera autant ayant tous
les piques, hormis le roi & le fix. Ainfî,
le point égal, il aura la fixième de dame
bonne ,& unquatorze de dames que l ’autre
ne pourra empêcher ayant écarté celui de
rois.
C’eft-là fans doute un coup furprenant,.
& qui fuppofe que les filous, au jeu de
piquet,. favent aufli arranger les cartes d’une
manière infaillible pour faire donner les
gens dans le panneau. Voici comment ils.
s’y prennent.. Ils ont plufieurs jeux de
cartes tout prêts, tellement difpofés , &
la blanche fi bien circonftanciée , &: le
fornante rotripu nonobftant la feptième
major & trois as, & le quatorze de rois
néceflîté d’être écarté ; tout cela eft aufli'
arrangé par avance dans de certains cartouches
de fer blanc, où chaque jeu a fon;
réfervoir & fa layette féparée. Ce cartouche
qui fera de quatre jeux de cartes féparées
fe peut attacher en deffus du genou , à
l’abri de larges haut-de chauffes, ou d’un
long vêtement ; & à toutes les niches &
enchauffures de chaque jeu il y a une
efpèce de reffort qui le pouffe dehors quand
l’on veu t, enforte que le filou qui feint
pour l’ordinaire d’être eftropié de la main
gauche, & qu’il ne peut pas aifément s ’en-
aider , après qu’il vous aura laiffé mêler
les cartes quand il vous les donne à couper
de fa droite, il couvre de fon coude cette
main gauche retirée vers la carne de la
table , & occupée à s’y fournir d’un autre
jeu, & en rapprochant la droite , il coule
fi fubitement au-dedans de fon manteau ,
ou dans le bord du tapis replie en forme
de fac, le jeuvqu’on vient de couper, fai-
fant femblant de le mettre dans fa gauche
en laquelle ce jeu efcamotté paroit au
moment que l’autre difparoit fi fubtile-
ment , qu’il.n ’y a perfonne qui n’y fût
trompée , à moins d’être avertie d’avance
de la rufe. Ou bien encore , le filou ayant
donné les cartes à couper, il les reprend
de la main gauche, les tenant négligemment
la pointe des cartes penchée vers lui,
& fe garniffant le dedans de la droite d’un
jeu préparé qu’il a tout prêt fur fes genoux
, ou que lui donne un adjoint qu’il
a à fes côtés, & ayant l’index de cette main
droite appuyé fur la carne de la table ;
pendant qu’il amufe les yeux de 1 autre
par quelqu incident, il foulèv.e fa main
droite comme pour donner des cartes,
& tandis qu’il l’approche de fa gauche lui
portant le jeu efcamotté, elle laiffe pref-
tement tomber l’autre qu’on a coupe, o u 1
dans fon chapeau qu’il auroit mis renverfé ;
fur fes genoux comme pour y jetter fon
argent ; ce qu’il fait fi adroitement, qu’i l ;
feroit très-difficile de s’en apperçevoir.
Quelquefois, pour.plus grande fûreté , il
s’eft muni d’une machine femblable au
cartouche qu’il attache avec deux vis fous
la table , auprès de lu i , & de fon pied
( comme un gagne-petit ) fait tourner le
reffort qui lui pouffe dans la main , quand
il en eft temps , le jeu arrangé , prenant
toujours garde aux yeux de celui qu’il
veut duper, & faifaçt naître quelque con-
tefte, fi befoin eft, fur les marques , afin
de mieux prendre fon. temps pour fon
efcamotterie ; & non-feulement au piquet,
mais même aux autres jeux , cette ftneffe
peut avoir lieu ; au brelan, par exemple ,
le tricheur qui aura mis ordre à fes affaires
donnera ( lorfqu’on fera le plus échauffé)
trois tricons., & aura pour lui celui de
la carte tournée , avec quoi il remportera
tous les relies d’un chacun.
Il feroit fans doute à defirer qu’on pût
prendre un tel fripon fur le fait ; 8c pour
s’en affurer, on avoit imaginé de palier le
doigt mouillé de fa falive fur le coin de
l’une des cartes en-dedans , & fi t on ne
trouve plus en jouant fa marque on fe le
tiendra pour dit; mais le plus fur eft de ne
jouer qu’avec des gens qu’on connoît particulièrement
, malgré l’attrait que les
cartes ont pour ceux qui ont la paffion du
jeu,
La combinaifon d’un jeu de cartes a
quelquefois révélé des fecrets par la dénomination
des lettres de l’alphabet que
l’on eft convenu de donner aux différentes
cartes, fuivant leur rang & leur couleur. .
Il y a des coupes de piquet qu’on peut
regarder comme des demi-tricheries , &
qui pourtant font permifes. Par exemple,
il arrivera quelquefois que qui n’aura qu une
quinte major en premier, & voudra faire
cartes égales , prendra fon temps comme
l’autre qui a trois as, s’en ira de la couleur
dont celui-ci pourroit avoir le roi gardé,
de jetter preftement ce roi au lieu de l’autre
de la quinte ; & fi on ne s’en apperçoit
qu’après la carte lâchée, ce fera fix levées
d’affurées.
Autre exemple. Il falloit à un joueur de
piquet un picque, ou un capot, pour
gagner une partie confidérabie ; or , il
faifoit le picque fans une dame qu’il avoit
écartée, & qui encore par malheur étoit
la feule carte qui pouvoit mettre l’autre
joueur ( à qui il ne falloit plus que deux
points ) en balance pour s’empêcher du
capot; le premier joueur voyant le danger
, joue fans compter les trois dames
qu’il n’avoit pas effedi ventent; puis en jet-
tant, les compte, & feint d’aller au pique ;
l’adverfaire le lui difpute, & lui foutient
qu’il ne les avoit point comptées; lu i,
affirmant le contraire, demande à parier
( mais une fournie légère ) qu’il les a
, .comptées , 8c offre de s’en rapporter aux
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