
Madame D u b o i s .
Ne di(7ïmli!ez pas :vous craignez de perdre,
Me lieurs.
' L’Abbé d e S’ A s n e a u. x .
Ce molif peut entrer pour quelque choie
dans mon aveifiorupour le jeu. Enfin, Madame,
tout le monde connoît le calcul que
je vais vous faire. Que de,ux* joueu s aier.t
chacun cent p;ftoles,.que l’un perde .cinq cents
flancs, fou adverfaire n’eft enrichi que d'un
tiers , Si il eft appauvri de moitié ; le rapport,
comme vous voyez, n’eft pas égal. D’ailleurs,
je ne parle point des cartes qui font une perte
réelle pour tous les deux.
Madame D u d o l s.
Ah! l’Abbé, l’économie fur le jeu tourne
rarement en véritable économie. Tefne joue
pas, qui , fous ce prétexte , Ifatisfait mille
autres pallions. Il a des chiens en grand nombre
; c'en: mon jeu, dit-il , je ne joue pas. Il
a des livres de pure curiofité , de pure vanité,
des livres qu’il ne lit pas ; c’eft mon jeu, dit-
il encore , je ne joue pas. Il met à la loterie ,
Si Dieu fait quel jeu c’eft ! Il a des chevaux ,
des maîtrefles, &c. &c. Si c’eft toujours fon
jeu. Le croyez-vous, de bonne fo i, plus riche
a la fin de l’année.
L’Abbé P r i n t e m s .
Tant pis pour lui, s’il cherche à fe tromper
lui-même. Mais , Madame , votre jeu éternel
ne nous empêche pas de vous latisfaire fur
tous vos goûts. Vous n’en êtes pas moins fo.le
de modes que celles qui ne jouent point, ou
qui jouent moins.
L’Abbé d e s A g n e a u x .
Au contraire, l’argent qu’on gagne paraît
tout gain; on ne perfe nullement a celui qu’on,
a perdu, & le gain sien va prefque toujours;
en dépenfés très-folies.
Madame D u b o i s .
Si vous étiez fouverain , je craindrois bien
de vous voir profcrire les cartes par un bel Si
bon édit,
CORB I L LO N.-
L ’Abbé Des A g n ï a u x .
Point du tout, Madame. Les cartes font
un mal néceffaire. Elles pré-viennert beaucoup
d'autres inconvéniens plus grands. Je peefe
que les cartes font néceflaires au bien moral
d'une fbciété particulière , comme les Spectacles
font néceflaires au bien moral d une
grande ville. U faut employer-le t imsdes dé-
foeuvrés, qui, ne fâchant 'àquoi s’occuper, fe
livreroient à mille excès également pernicieux
au bien particulier comme au bien général.
J'ai entendu dire que les excès n’étoient jamais
fi grands que dans les tems où les fpec-
tacles étoient fermé;. 'Encore dans ces tems-là,
'a politique a-t-elle fu|pftimé -aux fpeétacles ,
des concerts, des combats d'animaux & autres
points de raiiemsnt pour les défoeuvrés.
Madame de la Rivière.
Quarfd UBe focirté eft bien nombreufè, un
maître de maifon feroiq bien embarraflé pour
occuper &• amufer tout le monde , s’il n’avoit
pas lareflource du jeu.
Madentoifelle R o S E.
Aulfi, Madame, les jeun es perfonnes, comme
moi , qui ne jouent pas , par ignorance ou [par
d’autres motifs , ont-elles bien de 1 obligation
à M. l’abbé des Agneaux, qui veut bien nous
apprendre tous ces petits jeux à gages , qui nous
divertiflent beaucoup, & nous font paflèr le
tems fort agréablement.
Madame de la Rivière.
C’eft ce qui fait , l'Abbé, que les mamans
ont beaucoup d’attachement pour vous, Si
qu’elles fe font un vrai plaifir d’affifter à vos
petits jeux.
Madame D u b o i s .
Ces dam:s ont bien de ia vertu. Pour moi,
fi j’avois des filles, je ne le pourrais pas. Comment
peut-on s’amufer à jouer à je vous vends
mon cvrbillon, qu’y met-on? Un dindon1,
un oignon , un ânon , Un chiffon , mon front,
mon talon ; qu’eft-ce que c’eft que toutes ces
bêtifes-là ?
L’Abbé des Agneaux.
Si vpus n’aimez pas le jeu de corbillon,
Madame,
Madame, on peut jouer à je vous vends ma
cijfette , que voule^ vous qu’on y mette ?
Mademoilelle~~ R os e .
Une Ino'.fene , une allumette , une mou-
chette, une pincette , une affiette, une cuvette.
Madame D u b o i s .
Vous êtes bien favante , en vérité ; mais
fi j’avois dés filles....
, L’Abbé Printems, t e .
Je lés plaindrais.
Madame D u B o I S.
Qu’eft-ce que vous dites î Elles ne joue-
roient pas toutes ces inepties-là.
Madame dé l'a Rivière.
Vous Es auriez , fans doute, toujours à vos
côtés , pendant que vous joueriez ?
Madame D u b o i s .
Précifément, Madame; & je ne vous demanderais
point votre avis la-defius.
L’Abbé P r i n t e m s .
Et vous en feriez des jougufes de pro-
felfion.
L’Abbé d e s A g n e a u x .
Madame leur montrerait les coups fins , la
manière de répondre à propos à une invite ,
de forcer le quinola à la bonne, fans qu’on
s’en doute ; de demander dans les circonf-
tances : combien vous relié—il de votre point;
quelle dame a eu le malheur de vous déplaire?
d’effrayer fon monde par un va-tout, quand
on a un jeu médiocre ; de bien fixer dans fa.
mémoire toutes les cartes qui font paflees ,
qu'eft ce qui les a jettées, dans quelles cir-
conftancse on les a jettées ?
Madame de la Rivière.
Ça exerce la mémoire, Si ça rend l’efprit
jufte.
Jeux familiers.
L ’Abbé des Agneaux.
Dans le fond, on ne peut avoir de l’efprit
qu’en maniant fouvent S i long tems les ca.tes,
& je ne fais cas que de ces génies-là.
Madame D u b o i s .
Dans le fond , je ne fais aucun cas des goguenards,
& je vous quitte. Adieu, Meilleurs.
L’Abbé Printems & l’Abbé des Agneaux.
Adieu , Madame, fans rancune.
Madame D u b o i s .
Si je vous tiens au jeu.... vous vous fou-
viendrez de moi.
L’Abbé Printems.
Je défendrai mon argent.
L’Abbé dks Agneaux.
Je me méfierai de vos tours.
Madame de la Rivière.
Savez-vous, Meilleurs , quelle eft fichée.
Vous avez fait-ià une ironie un peu forte. -
L’Abbé j ) e s A g n e a u x .
Pourquoi nous poufle-t elle à bout ?
Mademoifelle R o s e .
Madame veut avoir galerie, quand elle
joue ; elle n’aime pas à jouer fans fpeâateurs,
&, rien n’eft fi tôt que de regarder jouer des
jeux qu’on ne connoît pas.
L’Abbé des Agneaux.
Si nous nous avifions de jouer nos petits
jeux dans le fallon, on nous dirait fans çelfe :
Paix là ! paix là ! on ne fait ce que l’on joite,
vous nous écour diffez.
Madame de la Rivière,
Vous faites fort bien de vous mettre dans
G