
U N E P H R A S E .
Madame d e l a R i v i è r e . L’Abbé d e s A g n e a u x .
Vous nous avez dit hier, l’abbé , que vous
aviez des obfervations à nous faire iur les
commandemens : je fuis fort curieule de vous
entendre. Cet article manque au cours complet
que vous nous faites lur les jeux.
L’Abbé d e s A g n e a u x .
Autrefois, 011 donnoit trois commandemens.
Madame d e l a R i v i è r e .
Ce fut l’an 1550, du tems de François Ie' ,
peut - être que l’on en. donnoit trois; car,
actuellement ,on n’en donne pius qu’un.
L'Abbé d e s A g n e a u x .
Je ne fais fi on jouoit aux jeux à gages du
tems de François Ier. Peut-être jouoit-on au
pied-de-boeuf où l’on compte jufqu’à neuf ;
car il eft bien ancien ce jeu-là Ce qui eft
certain, c’eft qu on donnoit anciennement
trois commandemens; 8c à ce fujet, je va:s
vous chanter une chanfon de Pannard, fur
le pied-de-boeuf; elle vous apprendra le jeu
du pied-de boeuf. La voilà :
Je rêvois l’autre jour ,
I Qu’avec vous , 8c l’amour ,
Je jouois fur l’herbette ,
A certain jeu , Nanette J
Où l’on va jufqu’à neuf,
En comptant tour-à-tour.
Je te tiens, dit ce Dieu , fuivant la loi commune ,
De trois chofes tu dois . pour le moins en faire une.
Aime Nanette tendrement ,
Aime-la fans partage ,
Aime-la conftamment.
Tout autre fournis à l’ufage ,
N’eût rempli qu’une de ces loix j
Pour moi , volontiers je m’engage ,
A les accomplir toutes trois. ,
Madame d é l a H a u t e - F u t a i e .
J’avois oublié cette chanfon ; mais elle eft
fort jolie.
Or donc, je dis qu’il eft bon de donner
plufieurs commandemens, 8c au moins deux
aifés fie différent , afin qu’on puiffe choifir.
Par exemple, quand on donne pour commandement
de chanter , ça tombe prefque toujours
à de jeunes perfo'nnes qui ne s’en foUcient pas.
On a de la timidité, ou de la répugnance ; on
chante mal, après s’être fait bien prier; la
maman gronde.......Et pourquoi fe faire une
peine- d’une chofe qui r.e doit qu’amufer ! La
coutume de donner -au moins un commandement
impoffible eft allez fingulière. O11 vous
ordonnera de nrendre la lune avec les dents,
d’aller embrafLr une perfonne éloignée de
vous de plufieurs lieues, 8cc. quelquefois le
commandement fera d’embraffer une ptrfonne
que l’on détefte , ou-.une autre que l'on aime
bien : alors, le choix eft piquant. Allez fou-
vent , quand on ordonne d’embrafler ia perfonne
que l’on aime le mieux, on embraffe
tout le monde. Comme ces enfans g qui on
demande : qu’aimez vous le mieux de votre
papa ou de votre maman ? Sotte queftion ,
à laquelle ceux qui ont de l’efprit répondent
ordinairement : je les aime mieux tous les
deux.
Mademoifelie de l a Ha u t e -Fu t a ie .
Vous avez bien raifon de ne pas vouloir
qu’on donne pour commandement unique de
chanter; e’eft affez qu’on vous ordonne de
chanter , pour qu’il ne vienne aucune chanfon
jolie dans la mémoire.
Mademoifelie R o s E.
Tout cela eft fort bien dit ; mais avec
toutes vos belles dilfertations, nous ne jouons
pas. Eh bien 1 Chevalier, eft- ce que vous ne
nous apprendrez aucun jeu î
Le Chevalier Z É P H 1 R.
Ma foi, je n’en fais point; l’abbé m’a volé;
je vous aurois appris le pied-de-boeuf : une,
deux , trois , quatre , cinq , jix , fep t, huit,
neuf , je tiens mon pied de-boeuf ; & puis on
baiflt la main , J ans quoi elle ne ferait pas de
' bonne prife.
Mademoifelie
Mademoifelie R O SÉ.
Finiflez donc, Chevalier ; vous me tordez
les doigts ; allons donc.
L’Abbé des .Ag n e a u x .
Jouons aux réponfles en une phrafe ; je vais
fortir un il.liant ; chacun donnera un -mot ’a
fon voifin ; en revenant, je ferai une queftion
à chacun. Il faudra , dans fa réponfe, qu’il
mette fbn mot , 6c qüe je tâche de le deviner
; celui dont le mot aura été deviné ,
prendra ma place.
Madame DE la Ri vi ère.
Voyez s’il n’écoute pas.
Le Chevalier Z.É p HI R.
Oh ! il eft bien loin.
Madame de l a R i v i è r e .
Chevalier, je vous donne pour mot pantoufle.
Le Chevalier Z É P HI R.
Mademoifelie, je vous donne pour mot
diable.
Mademoifelie R ose à Mlle du Galon.
M o i, je vous donne crocodile.
Mademoifelie d u G a l o n .
Oh ! c’eft trop difficile , ma foeur. Eh bien!
tiens, ma foeur, je te donne Antipodes.
Mademoifelie du R u i s s e au.
M. l’abbé , je vous donne fricâfTée de
pçulets.
Madame de l a Ha ut e -Futaie.
Il faut que je forte ; je ne jouerai pas ce
tour-ci.
L’Abbé P r i n t e m s .
N ’allez pas dire les mots ;à l’abbé ; il
n’auroit pas de peine à les deviner.
Jeux familiers.
Madame de la Haute - F utai e.
Oh ! mon Dieu, non. Je vous en réponds.
L’Abbé P R1 N t E M s.
Mademoifelie, je vous donne pour mot
baromètre.
Mademoifelie DE LA Haute-Futaie.
Eh bien ! Madame de la Rivière, je vous
donne auffi pour mot baromètre. Appeliez
l’abbé. Le voilà qui vient.
L’Abbé de s A g n e a u x .
Vous avez été bien long-tems, Mefdames.
Voyons un peu , Madame de la Rivière ;
irez-vous promener ce foir î
- Madame de l a R i v i è r e .
Si le baromitre,nous annonce du beau tems,
je pourrai bien' y aller ; mais je crains bien
les crapauds 6c ies couleuvres.
L’Abbé des A g n e a u x .
Bon ! ces crapauds qu’on vous a donné. '
Madame de l a R iv iè îl e .
Point du tout, c’eft baromètre.
L ’Abbé d e s A g n e a u x .
Cheva ier, raifonnez-vous quelquefois î
Le Chevalier Z Ë P H I R.
Quelquefois, je raifonne pantoufle.
Mademoifelie R O S E.
C ’eft bien vrai, par exemple......
Le Chevalier Z É p H I R.
LaifTez-moi donc finir ma phrafe; quelquefois
je raifonne férieufement, furtout fi on
parle de chimie. Mon mot eft dit.
L’Abbé d es A g n e au x.
‘AJi ! voyez que c’eft bien, difficile à deviner
1 Ç’éft chimie, n’eft ce pas >