
quelqu’un qui foit de la coterie de l’autre,
bien qu’il faffe- mine de ne le pas connaître,
fabouj*fe recevra de rudes attaques
par les lignes que les deux camarades s’en-
treferont.
En outre,. le traître qui ell auprès de
vous raifonnant de chofes indifférentes ,
demandant un verre de vin à un valet,
commandant qu’on ferme la porte, q u’on
ouvre les fenêtres, qu’on apporte de la
lumière, s’étudiera de commencer fon dif-
cours par de certaines lettres fignificatives
entre eux , pefant fur les mots myflérieux ;
il affedera d’entremêler dans fes expref-
lions certains petits juremens qui font
d ordinaire l’embelliffement des périodes
de ces fortes de fripons là , & par cette
rufe découvrira à celui qui vous triche ( au
piquet, par exemple, ) quel fera votre
p o r t, afin qu’il ne fe défalfe pas de fa
garde pouf gagner les cartes, & de quelle
couleur vous manquerez afin qu’il écarte
plus hardiment, lui donnant enfuite les
avis néceffaires pour jouer par votre côté
le plus foible, & principalement pour
éviter le capot quand le cas y échet.
Morbleu,parbleu, fangbleu, ventrebleu,
fignifierontle coeur, le carreau, le trèfle» le
pique,
Vzrtubleu fera un quatorze de dix ou
de valets , par la ventrebleu fera celui de
dames, de rois ou d’as.
Ma foi fera- une quinte de dix ou de
valets , par ma foi fera la quinte-maj or ou
de roi ; enforte que le drôle qui aura vu
votre jeu pour donner à entendre à l’autre
qu il. doit [ orter à la quinte-major de
pique grondera après -le valet qui lui aura
verfé àboire; ventrebleu, dira-t-il, fait du
coquin ; ce vin là par ma foi nefl que du
vinaigre ou bien fi c’eil en hiver, pefle !
dira-t-il, de la canaille fe retournant vers
la cheminée. Qiioi ! Manquerons-nous de
feu tout aujourd’hui ? Le P marque le pique,
le Q & l’M la quinte-majèure , & ainfi
de- même a tout propos , félon le jeu
auquel on joue, & le lignai dont ils feront
convenus.
Empêchera-t-on un feint ami qui efl
auprès de vous , qui parie même pour
vous comme c’ell la coutume de tels pen-
dards de demander à boire, de dire qu’il
fait beau temps, qu’il a le pied engourdi,,
& qu’il a mai à la tête ; cependant tout
ce qu’il prononce porte coup , & il ne
dit jamais de paroles inutiles.
Un de ces jafeurs à profit feignoit un.
jour de revenir d’un inventaire où
l’eflimadon , dila.it i l , étoit faite de plu-
fieurs nippes , & s’étant alîis auprès de
la dupe enfeignoit à l’autre jufqu’à la
moindre carte de fon jeu par le récit qu’il
faifoit de la prifée de chaque tableau, de
chaque tenture de tapilfërie , de chaque
montre, de chaque pierrerie.
Us étoient convenus enfemble- que les'
coeurs s’exprimeroienc par les écus ; les
carreaux , par les loids Æorj les trèfles ,
par les pistolet d’Efpagne. Le lïx valoir
dix louis ou dix pifloles, félon fa couleur;
le fep t, vingt ; le huit, trente ; le neuf
quarante ; & le dix, cinquante; le valet,
cent ; la dame, deux cents ; le ro i, trois
cents ; & l’as , quatre cents. Un filet de
perles de quatre cents louis, c’était l’as de.
coeur ; des pendans d’oreilles de rubis de
deux cents pifloles d’Efpagne , c’étoit la
dame dépiqué, & ainfi du relie. Maintenant
, pour marquer qu’il avoit trois as
ou trois dix, il tiiploit le nombre de l’un,,
& exprimoit la couleur de celui qui man-
quoit. Il y avoit, par exemple, difoit-il ,
un beau diamant de douze cents louis d’or,
cela vouloit dire qu’il portoit dans fon jeu
l’as de coeur, l’as de trèfle & l’as de pique,
& que celui de carreau lui manquoit; &
ainfi de même pour les trois rois,. les trois
dames & les trois d ix , à l’exception des
trois valets qu’ils ne mettoient qu’à deux
cents cinquante, pour ne point confondre
par le nombre de trois cents celui de
chaque roi. La tierce &.la quarte s’enten-
doient par l’addition de ces mots beau &
bon, devant chaque louis ou pillole. Beau
marquait la tierce ; trois cents belles pif-
toles, la tierce de roi de trèfles; bon, la
quatrième ;’ quarante bons louis , la quatrième
baffe de coeur. Ces autres mots
ajoutés fur table, fur le bout de la table,
argent fur table, argent fur le bout de la
table, & argent ^comptant marquoient la
quinte , Ja fixième, la feptième , la huitième
& la neuvième. Trois cents pifloles
fur table, c’étoit la quinte du roi de trèfle ;
cent louis fur le bout de la table , c’étoit
la fixième du valet de coeur; quatre cents
louis d’or argent comptant, c’était fa neuvième
de carreau ; & pour les quatorze ,
comme il n’elt pas befoin d’exprimer la
couleur, mille louis marquoient celui d’as;
mille louis d’or , celui de rois ; mille pif-
toles, celui de dames; mille pifloles d’Efpagne
, celui de valets ; & mille écus, celui
de dix ; & afin que rien ne manquât pour
circonflancier tout ce qui efl du jeu de
piquet, cent écus exprimaient la blanche.
Un jeune feigneur qui éntendoit la mu-
lique en perfeétion, & avoit l’oreille excellente
, complotte avec fon maître à jouer
du luth pour gagner les pifloles du fils
d’un financier logé dans la même auberge ; •
c’étoit d’ordinaire au piquet qu’ils paffoient
enfemble les après-dînées. Le maître ne '
manque pas de paffer dans la chambre de
fon écolier , comme il commençait avec
l ’autre la première partie, & feignit de
vouloir s’en retourner, puifqu’il levoyoit
engagé au jeu ; mais le jeune feigneur,
après bien des excufes de ne pouvoir pour
l’heure recorder fa leçon, le prie de remettre
à fon luth une corde qui s’étoit
rompue ; celui-ci le prend aufli-tôt fur le
ciel du l i t , & accordant cet inflrument
en fe promenant dans la chambre , voit
les cartes du financier , & fuivant les tablatures
qu’il avait faites à ce fujet avec
fon difciple , à mefure qu’il touche à la
chanterelle ou aux autres cordes, il lui
indique le fort & le foible du jeu de l’autre,
Ion port & quel doit être le fîen. Le maître
8c l’écolier s’étoient formés entre eux une
mémoire artificielle de chaque commencement
deplufieurs petits airs nouveauxfur le
luth , par lefquels fe marquoient & la couleur,
&la carte, & la quinte, & le quatorze,
en telle forte que le financier ayant joué
& le tout, & le tout du to u t, perdit
une fomme affez confidérable pour remettre
en fonds le jeune marquis qui étoit
entré au jeu bien plus fourni de malice que
d’argent.
Autres remarques.
Il n’y a pas une feule carte q u i, en
fortant des mains de l’ouvrier, n’ait quel-
quepetite tache fortuite,blanche, rouffe ou
grifâtre, que peuvent fort bien remarquer
ceux qui y regardent de près, & qui
faventprendrele jourpour lesappercevoir.
De plus, fi un fourbe s’entend avec un
cartier qui fe prête à fes friponneries , il
lui fera coller fon papier de deffus de
telle manière, qu’au lieu qu’il a coutume
d’être de droit fil par le lo n g , il ne laifi-
fera que les coeurs avec les petites veines;
ainfi montant en pal qu’on appelle, & les
carreaux les auront facés en large, les
trèfles un peu biaifant de l ’angle droit vers
le bas en bande, & les piques au contraire
biaifant de l’angle gauche vers le droit en
barre; ou fi la conféquence , félon le jeu
auquel on joue, ne va qu’à diflrnguer les
as & les peintures d’avec les petites cartes,
celles-ci auront les veines du papier en
large & les autres en long , en forte que
le fourbe q u i, en donnant, reconnoît
l’as ou la peinture, fait filer fubtilement
une autre carte de deffous à la place de
la première; & il y a des joueurs fi Ailés
à faire ainfi filer les cartes , que ceux-
mêmes qui les furprennent de cette tricherie
, y prenant garde, ne peuvent pas
les en convaincre, tant ils la font adroitement.
Un étymologifte ne manquera pas de
. dire que c’efl pour cela, fans doute, qu’on
nomme filoux ces fîteurs de cartes.
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