Je vois encore par des articles de journaux qu’une omoplate
énorme et en forme d’éventail a été retirée du lac de Genève, et ce
ne peut guère être que celle d’un rorqual.
Feu M. Roussel, professeur d’histoire naturelle à Caen, m’avoit
envoyé autrefois un radius déterré dans les environs de cette ville,
et qui montre aussi, tout dépouillé qu’il est de ses épiphyses, les
proportions et les formes de celui d’une baleine.
Mais je le répète, cês divers morceaux, tout en prouvant de
plus en plus l’existence des cétacés parmi les fossiles, ne nous apprennent
rien d’assez positif sur les espèces dont ils proviennent pour
que nous devions y arrêter nos lecteurs.
Qu’il nous suffise donc de leur rappeler les objets plus déterminés
que nous leur avons fait connoître dans les chapitres précédens et le
résultat incontestable qui en découle; c’ est que les mammifères marins
recueillis dans nos couches dont il a été possible de caractériser
les espèces ne sont pas moins différens de ceux qui habitent nos côtes
que les mammifères terrestres fossiles, et même que la plupart de
ces cétacés fossiles diffèrent sensiblement de tous ceux qui ont été
observés jusqu’à ce jour vivans dans les différentes mers.
Ainsi notre lamantin des environs d’Angers, non-seulement est
d’un genre étranger à nos climats, mais il est d’une espèce différente
et des lamantins d’Afrique et d’Amérique1, et beaucoup plus encore
des animaux de la mer des Indes et de la mer Pacifique que 1 on
avoit jusqu’à présent rapprochés des lamantins.
Ainsi le dauphin à longue symphyse, déterré par M. de Borda,
est entièrement inconnu parmi les nombreuses espèces de ce genre
décrites par les naturalistes. Le dauphin à museau minee des environs
d’Angers, le dauphin à museau large découvert par M. Cortesi
en Lombardie , bien que moins éloignés des espèces connues ,
s’en distinguent toutefois par| des caractères d’une nature bien
spécifique.
On doit en dire autant du rorqual de Lombardie, qui est du aussi
aux recherches de M, Cortesi;1 '
Mais ce qui passe tout ce que l’on pouvoît imaginer, ce sont ces
trois ou quatre espèces tellement dissemblables aux autres cétacés
que nous avons été obligés d’établir pour elles un genre particulier.
Les z iph iu s, comme on l’a vu, ne sont ni tout-à-fait des baleines,
ni tout-à-fait des cachalots, ni tout-à-fait des hypéroodons. Ils tiennent
dans l’ordre des cétacés une place analogue à celle qu’occupent
dans l’ordre des pachydermes nos mastodontes, nos palæotheriums ,
nos anoplotheriums et nos Iophiodons, et dans celui des édentes
notre mégathérium et notre mégalonyx. Ce sont probablement aussi
des restes d’une nature détruite, et dont nous chercherions en vain
aujourd’hui les originaux à l’état de vie.
Par là se confirme de plus en plus la proposition à laquelle 1.’examen
des coquilles fossiles avoit déjà conduit; c’est que ce ne sont
pas seulement les productions de la terre qui ont changé lors des
révolutions du globe, mais que la mer elle-même, agent principal
de la plupart de ces -révolutions, n’a pas conservé les mêmes habitant;
que lorsqu’elle formoit dans nos environs ces immenses
couches calcaires peuplées de coquilles aujourd’hui presque toutes
inconnues, les grands mammifères qu’elle nourrissoit n’étoient pas
ceux qui la peuplent aujourd’h u i, et. que , malgré lés forces que
sembloit leur donner l’énormité de leur taille, ils n’ont pas mieux
résisté aux catastrophes qui ont bouleversé leur élément que n y ont
résisté sur terre les éléphans, les rhinocéros , les hippopotames et
tous ces autres quadrupèdes si robustes, qu’à défaut des arts de
l’homme une révolution générale de la nature pouvoit seule extirper
leurs races.