nôtres par des ongles plats et arrondis, ce qui a pu faire donner à
juste titre à ces membres le nom de mains, par comparaison avec
les nageoires des poissons ordinaires.
Comme ces animaux ont leurs mamelles sur la poitrine, et qu'ils
élèvent souvent la partie antérieure de leur corps au-dessus de l’eau;
comme le nom de main, donné à leurs nageoires, a fait exagérer
l’idée de la ressemblance de ces membres avec les nôtres ; comme
enfin leur mufle est entouré de poils (1), qui de loin peuvent faire
l’effet d’une sorte de chevelure, on leur a donné des noms plus singuliers,
qui ont c o n d u it ensuite à des récits extrêmes et entièrement
fabuleux. Les Portugais et les Espagnols ont appelé le lam antin,
pesce m ulher, pf'scc dona (poisson jcmme jj ; les. Hollandais ont
nommé le dugong, baart mannetje ( homme barbu ). De ces noms
à l’idéé d’un être demi-homme et demi-poisson il n y a pas loin; il
suffit d’un voyageur peu scrupuleux ou de peu de mémoire pour
compléter la métamorphose.
Chacun peut .s’assurer , en lisant les descriptions données par les
modernes de prétendus tritons ou sirènes, qu’elles doivent leur
origine à nos animaux ; les unes faites raisonnablement et d apres
nature, comme celles que rapportent Dapper .(d) et M ero lla , en
présentent clairement tous les caractères ; les autres, écrites sur des
ouï-dires ou d’après le souvenir confus d’un objet vu de loin, comme
celles de Chrétien (3) , de Debes (4) , de K irch er (5) , sont aisés à
ramener à leur véritable type. Pour peu que l’on ait 1 habitude du
petit art de la caricature, on sait combien il est facile de changer,
au moyen des altérations les plus légères, la figure d’un être dans
celle d’un autre; et il est certainement tout aussi aisé de faire d’un
(1) Ce sont ces poils qni lui ont valu le nom de trichecus , de »glg et Parce q»«>
tant qu'on le rangeoit parmi les poissons , il étoit le seul de sa classe qui eût du poil (Artedi,
Philos , ichthyol. ,p . 74 ); mais ce nom , transporté au morse, qui est un quadrupède , devient
ridicule. £
(a) Afrique de D a p p e r . 366..
(3) Joum. des S ayons, I I , avril 1671 , suppl.
(4) Acta Medica, Hafniens. 1671 et 1672 , p. ior.
(5) Ars magnet. , p. 675 ; et apud Ruisch, Theat. anim. de Piscib., pl. X L , p. H
dugong, tel qu’il est rendu dans l’ouvrage de Renard ( f ) , ou d un
lamantin, comme l’a figuré Gumilla (2), une sirène comme celle que
représente K irch er, que de changerune raie en b a silic, tel que celui
qu’ont gravé Aldrovande, Jonston , etc., et que l’on voit tous les
jours dans les cabinets des curieux ou dans les boutiques des charlatans.
Quant à celle de Paw et de L a ët, dont Bartholin a représente les os
de l’avant-bras et de la main, son espèce est d autant plus certaine que
ces parties osseuses sont manifestement celles d’un jeune lamantin (3).
Voilà pourtant à quoi se réduisent ces récits d hommes cl de
femmes de mer, accumulés par M a ille t (4), par Lachesnaye-des-
Bois{5),yax Sachs (6) etpar d’autres auteurs plu? érudits que judicieux.
Je sais que Valentyn prétend distinguer les hommes marins des
dugongs [g) ; mais il ne dit point avoir vu des premiers, il ne donne
que la figure ridicule déjà publiée par Renard, à qui elle etoit suspecte;
et quand il décrit le dugong (fi), il lui attribue tant de caractères
humains qu’il se réfute en quelque sorte lui-même (9).
Cet abus manifeste d’observations imparfaites ou altérées, joint à
toutes les ^singularités déjà remarquées dans ces animaux, etoient
des motifs plus que suffisant pour chercher a éclaircir leur histoire,
en y ajoutant quelques faits nouveaux : j y ai ete tout-a-fait déterminé
quand j’ai aperçu des vestiges de ces animaux parmi les os-
seinens fossiles.
Je n’aurois pu cependant rien dire de bien important qui ne fût
déjà dans quelque auteur précédent, sans 1 attention qu a eue mon 1
(1) Poissons des Moluques, pl. 342 % • *8o.
(à) Orénoque, trad. f r . , in-12 , t. î , pl. de la page 3©4-
(3) Th. Bartholin, Hist. anat. centur. I. p. 171-
(4) Telliamed, t. I l , in - 1 2 , p. 181.
(5) Dict. des Animaux, articles homme marin et sirène. ,
(6) Ephemer. nat. curios. ann. d e c ., I , obs. 23.
(7) Oud en Niew-Oostindie, t. I I I , p. 33o.
(8) ïb id . ,^ . 341.
(9) Je n’ai pas besoin sans doute de réfuter l’existence de la prétendue fille de mer, dont
on a récemment donné la description dans quelques journaux anglais. Il est évident par ces
descriptions mêmes que c’étoit un produit artificiel fabriqué en adaptant le corps d un poisson
au bas du tronc d’un singe.
t . y , 3i