lorsqu’il étoit fatigué de parcourir les rochers et Tes
profondeurs des anses , lui procurèrent, de la part de
ces' insulaires, des poissons assez rares. Ces Caraïbes
le dirigèrent, dans une de ses courses r vers une partie
des rivages de l’isle, sauvage, pittoresque et mélancolique,
appelée Porte d’enfer. Ce fut auprès de cette
côte qu’il trouva un poisson dont il m’a envoyé un
dessin colorié. Cet animal avoit l’air si familier et si
peu effrayé des mouvemens du citoyen Charvet, qui se
baignoit, que cet artiste fut tenté de le saisir. A peine
le tenoit-il, qu’une fente placée sur le dos du poisson
s’entr’ouvrit, et qu’il en sortit une liqueur d’un pourpre
vif, assez abondante pour teindre l’eau environnante,
en troubler la transparence-, et donner à l’animal la
facilité de s’échapper, au moment où l’étonnement du
eitoyen Charvet l’empêcha de retenir le poisson qu’il
avoit dans les .jgftNffc* Cet artiste cependant prit de
nouveau le poisson,, iqiii répandit une seconde fois sa
liqueur ; mais ce fluide étoit bien moins coloré et bien
moins abondant qu’au premier jet, et cessa de couler,
quoique l’animal continuât d’ouvrir et de fermer la
fente dorsale, comme pour obéir à une grande irritation.
Le poisson, rendu à la liberté, ne parut pas très-
affoibli. Un second individu de la même espèce , placé
promptement sur une feuille de papier, la teignit de
la même manière qu’une eau fortement colorée avec
de la .laque ; néanmoins après trois jours, la tache
rouge étoit devenue j,aune. Des affaires imprévues, une
maladie grave, les suites funestes du terrible ouragan
de septembre 1776 , et l’obligation soudaine de repartir
pour l’Europe , empêchèrent le citoyen Charvet de
dessiner et même de décrire, pendant qu’il étoit encore
à la Guadeloupe, le poisson à liqueur pourprée : mais
sa mémoire, fortement frappée des traits , de l’allure et
de la propriété de cet animal, lui a donné la facilité
de faire en France une description et un dessin colorié
■ de ce poisson, qu’il a eu la bonté de me faire parvenir.
Les individus vus par ce voyageur avoient un peu
plus de deux décimètres de longueur. Leurs nageoires
pectorales étoient assez grandes. La nageoire dorsale
étoit composée de deux portions longitudinales, charnues
à leur base , terminées dans le haut par des filamens
qui les faisôient paroître frangées, et appliquées l’une
contre l’autre de manière à 11e former qu’un seul tout,
lorsque l’animal vouloit -tenir fermée la fente propre
à laisser échapper la liqueur rouge ou violette. Cette
fente, située à lorigine et.au milieu de ces deux portions
longitudinales de la nageoire dorsale, ne parois-
soit pas s’étendre vers la queue aussi loin que cette
même nageoire ; mais le fluide coloré, en sortaut par
cette ouverture, suivoit toute la longueur de la nageoire
du dos, et obéissoit à ses ondulations.
La peau étoit visqueuse, couverte d’écailles petites et
fortement adhérentes. La couleur d’un gris blanc plus
ou moins clair faisoit ressortir un grand nombre de
petits points jaunes, bleus, bruns, ou d’autres nuances.