son peu de force ; et il succombe fréquemment sous
la dent des perches, des saumons, et sur-tout des
brochets. La bonté et la salubrité de sa chair, qui
devient rouge par la cuisson comme celle du saumon
et de plusieurs autres poissons délicats ou agréables
au goût, lui donnent aussi l’homme pour ennemi. Dès
le temps d’Aristote , on savoit que pour le prendre
avec plus de facilité, il falloit frapper sur les pierres
qui lui servoient d’abri, qu’à l’instant il sortoit de sa
retraite , et que souvent il venoit, tout étourdi parle
coup , se livrer lui-même à la main ou au filet du
pêcheur. Le plus souvent ce dernier emploie la nasse*,
pour être plus sûr d’empêcher le chabot de s’échapper.
Il faut saisir ce cotte avec précaution lorsqu’on veut
le retenir avec la main: sa peau très-visqueuse lui
donne en effet la faculté de glisser rapidement entre
les doigts. Cependant, malgré tous les pièges qu’on lui
tend, et le grand nombre d’ennemis qui le poursuivent
, on le trouve fréquemment dans plusieurs
rivières. Cette espèce est très-féconde. La femelle , plus
grosse que le mâle, ainsi que celles de tant d’autres
espèces de poissons, paroît comme gonflée dans le temps
où ses oeufs sont près d’être pondus. Les protubérances
formées par les deux ovaires, qui se tuméfient, pouf
ainsi dire , à cette époque , en se remplissant d’un
* Voyez la description de la nasse dans l’article du pélromyzon lamm
•proie.
D E S P O I S S O N S . 255
très-grand nombre d’oeufs, sont assez élevées et assez
arrondies pour qu’on les ait comparées à des mamelles;
et comme une comparaison peu exacte conduit
souvent à une idée exagérée, et une idée exagérée à
une erreur, de célèbres naturalistes ont écrit que la
femelle du chabot avoit non seulement un rapport de
forme , mais encore un rapport d’habitude, avec les
animaux à mamelles , qu’elle çouvoit ses oeufs , et
qu’elle perdoit plutôt la vie que de les abandonner.
Pour peu qu’on veuille rappeler ce que nous avons
écrit* sur la manière dont les poissons se reproduisent,
on verra aisément combien on s’est mépris sur le but
de quelques actes accidentels d’un petit nombre d’individus
soumis à l’influence de circonstances passagères
et très - particulières. On a pu observer des
chabots femelles et même des chabots mâles se retirer,
se presser , se cacher dans le même endroit où des
oeufs de leur espèce avoient été pondus , les couvrir
dans cette attitude , et conserver leur position malgré
un grand nombre d’efforts pour la leur faire quitter.
Mais ces manoeuvres n’ont point été des soins attentifs
pour les embryons qu’ils avoient pu produire ; elles
se réduisent à des signes de crainte, a des précautions
pour leur sûreté ; et peut | être même ces individus
auxquels on a cru devoir attribuer une tendresse
constante et courageuse, n’ont-ils été surpris que prêts
Voyez le Discours sur lu nature des poissons.