1ÎV E F F E T S DE l ’a R T D E l ’ HO MME
En réunissant ou en emplojant séparément ces
quatre instrumens de son pouvoir, l’homme a modifié
les poissons d’une manière bien plus profonde qu’on
ne le croiroit au premier coup d’oeil. En rapprochant
un grand nombre de germes, il a resserré dans un
espace assez étroit les oeufs de ces animaux , pour que
plusieurs de ces oeufs se soient collés l’un à l’autre,
comprimés, pénétrés, entièrement réunis, et, pour
ainsi dire, identifiés; et de cette introduction d’un
oeuf dans un autre, si je puis parler ainsi, il est résulté
une confusion si grande de deux foetus , que l’on a vu
éclore des poissons monstrueux,: dont les uns avoient
deux têtes et deux avant-corps, pendant que d’autres
présentoient deux têtes, deux corps et deux queues liés
ensemble par le ventre ou par un côté qui appartenoit
aûx deux corps, et attachés même quelquefois par cet
organe commun, de manière à représenter une croix.
Mais laissons ces écarts que la Nature contrainte
d’obéir à l’art de l’homme peut présenter , comme
lorsqu’indépendante de cet art elle n’est soumise
qu’aux hasards des accidens : les produits de cette
sorte d’accouplement extraordinaire ne constituent
aucune amélioration ni de l’espèce, ni même de l’individu;
ils ne se perpétuent pas par la génération; ils
n’ont en général qu’une courte existence ; ils sont
étrangers à notre sujet.
Examinons des effets bien différens de ces phénomènes,
et par leur durée, et par leur essence.
SUR LA N A T U R E DES POI S S ONS . Iv
Voici tous les attributs des poissons que la domesticité
a déjà pu changer:
Les couleurs ; elles ont été variées et dans leurs
nuances et dans leur distribution.
Les écailles; elles ont acquis ou perdu de leur épaisseur
et de leur opacité; leur figure a été altérée; leur
surface étendue ou rétrécie; leur adhésion à la peau
affaiblie ou fortifiée ; leur nombre diminué ou augmenté.
Les dimensions générales; elles ont été agrandies ou
rapetissées.
Les proportions des principales parties de la tête, du
corps, ou de la queue; elles ont montré de nouveaux
rapports.
La nageoire dorsale; elle a disparu.
La nageoire de la queue; elle a offert une nouvelle
forme, et de plus elle a été ou doublée ou triplée,,
comme on a pu le voir, par exemple, en examinant
les modifications que le cyprin doré a subies dans les
bassins d’Europe, et sur-tout dans ceux de la Chine,
où il est élevé avec soin depuis un grand nombre de
siècles.
L’art a donc déjà remanié, pour ainsi dire,.non seulement
les tégumens des poissons, et même un des
plus puissans instrumens de leur natation , mais encore
presque tous leurs organes, puisqu'il en a changé les
proportions ainsi que l’étendue'.
C’est par ces grandes modifications qu’il a produit