L E T R ICH O PO D E MENTONNIER* .
C ’ e s t encore le savant Commerson qui a observé ce
poisson, dont nous avons trouvé un dessin fait avec
beaucoup de soin et d’exactitude dans ses précieux
manuscrits.
La tête de cet animal est extrêmement remarquable;
elle est le produit bien plutôt singulier que bizarre
d’une de ces combinaisons de formes plus rares qu’extraordinaires,
que l’on est surpris de rencontrer, mais
que l’on devroit être bien plus étonné de ne pas avoir
fréquemment sous les je u x , et qui n’étant que de
nouvelles preuves rie ce grand principe que nous ne
cessons de chercher à établir, tout ce qui peut être, existe,
méritent néanmoins notre examen le plus attentif
et nos réflexions les plus profondes. Elle présente
d’une manière frappante les principaux caractères de
la plus noble des espèces, les traits les plus recon-
noissables de la face auguste du suprême dominateur
des êtres ; elle rappelle le chef-d’oeuvre de la création ;
elle montre en quelque sorte un exemplaire de la
figure humaine. La conformation de la mâchoire inférieure,
qui s’avance, s’arrondit, se relève et se
recourbe, pour représenter une sorte de menton; le
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léger enfoncement qui suit cette saillie ; la position
de la bouche, et ses dimensions ; la forme des lèvres ; la
place des jeux, et leur diamètre ; des opercules à deux
lames, que l’on est tenté de comparer à des joues ; la
convexité du front ; l’absence de toute écaille proprement
dite de dessus l’ensemble de la face, qui, revêtue
uniquement de grandes lames, paroît comme couverte
d’une peau; toutes les parties de la tête du menton-
nier se réunissent pour produire cette image du visage
de l’homme, aux jeux de ceux sur-tout qui regardent
ce trichopode de profil. Mais cette image n’est pas
complète. Les principaux linéamens sont tracés : mais
leur ensemble n’a pas reçu de la justesse des proportions
une véritable ressemblance ; ils ne produisent
qu’une copie grotesque, qu’un portrait chargé de
détails exagérés. Ce n’est donc pas une tête humaine
que l’imagination place au bout du corps du poisson
mentonnier; elle j suppose plutôt une tête de singe ou
de paresseux; et ce n’est même qu’un instant quelle
peut être déduite par un commencement d’illusion. Le
défaut de jeu dans cette tête qui la frappe, l’absence de
toute phjsionomie, la privation de toute expression
sensible d’un mouvement intérieur, font bientôt dispa-
roître toute idée d’être privilégié, et ns laissent voir
qu’un animal dont quelques portions de la face ont
dans leurs dimensions les rapports peu communs que
nous venons d’indiquer. C’est le plus saillant de ces-
rapports que j’ai cru devoir désigner par le noua