
 
		xlvj  EFFETS  DE  l’art  DE  lfHOMME  
 admirables  et  immenses  monumens qui ont  résisté  au  
 ravage de tant de siècles,  et subsistent encore sur cette  
 terre  célèbre,  n’auroient  pas  pu  être  élevés  ,  et sans  
 laquelle  Sésostris  n’auroit  conquis  ni  les  bords  de  
 l’Euphrate,  du  Tigre,  de  l’indus  et  du  Gange,  ni les  
 rives du  Pont-Euxin,  ni  les  monts  de  la Thrace. Nous  
 connoissons  l’étendue  de  l'Égypte  :  lorsque  ses  pyramides  
 ont  été  construites,  lorsque  ses  armées  ont  
 soumis  une  grande  partie  de  l’Asie,  elle étoit  bornée  
 presque autant qu’à présent, par les déserts stériles  qui  
 la circonscrivent à l’orient  et à l’occident ;  et néanmoins  
 nous  apprenons  de  Diqdore  que  dix-sept  cents Egjp-  
 tiens  étoient nés  le  même  jour  que  Sésostris  : on  doit  
 donc  admettre  en  Egypte,  à  l'époque  de  la  naissance  
 de ce conquérant  fameux,  au moins trente-quatre  millions  
 d’habitans.  Mais  quel  grand  nombre.de  poissons  
 ne  renfermoient pas  alors  et le  fleuve  et  les  canaux  et  
 les  lacs  d’une  contrée  où  l’art  de  multiplier  ces  animaux  
 étoit  un  des  principaux  objets  de  la  sollicitude  
 du gouvernement,  et des soins de  chaque famille? Il est  
 aisé de calculer que le seul lac Myris  ou Moeris pouvoit  
 nourrir plus de dix-huit cent mille  millions de  poissons  
 de  plus d’un demi-mètre de  longueur. 
 Cependant, que l’homme ne se  contente pas de transporter  
 à son gré , d’acclimater, de  conserver, de multiplier  
 les poissons  qu’il préfère;  que  l’art prétende  à de  
 nouveaux succès  ;  qu’il  se livre  à  de  nouveaux efforts ;  
 qu’il  tente  de  remporter  sur  la Nature  des  victoires 
 SUR  L A N A T U R E   DE S   P O I S S ON S . ’  xlvij  
 plus brillantes  encore;  qu’il  perfectionne  son  ouvrage;  
 qu’il améliore  les  individus  qu’il se sera soumis. 
 On  sait  depuis  long-temps  que  des  poissons  de  
 la  même  espèce  ne  donnent  pas  dans  toutes  les eaux  
 une  chair  également  délicate.  Plusieurs  observations  
 prouvent que,  par exemple,  dans  les mêmes  rivières ,  
 leur  chair  est  très-saine  et  très-bonne  au-dessus  des  
 villes  ou  des  torrens  fangeux,  et  au  contraire  insalubre  
 et  très-mauvaise au-dessous de ces torrens vaseux  
 et  des  amas  d’immondices,  souvent  inséparables  des  
 villes populeuses. Ces faits  ont  été  remarqués  par plusieurs  
 auteurs,  notamment  par  Rondelet. Qu’on  profite  
 de  ces  résultats ;  qu’on  recherche  les  qualités  de  
 l’eau les plus propres à donner un goût agréable ou des  
 propriétés  salutaires  aux  différentes  espèces  de  poissons  
 que l’on sera  parvenu  à multiplier ou  à conserver. 
 Qu’on  n’oublie  pas  qu’il  est  des  moyens  faciles  et  
 peu  dispendieux  d’engraisser  promptement  plusieurs  
 poissons  ,  et  particulièrement  plusieurs  cyprins.  On  
 augmente  en  très-peu  de  temps  leur  graisse,  en  leur  
 donnant  souvent du  pain de  chènevis,  ou  des fèves  et  
 des pois  bouillis, ou du fumier,  et notamment de celui  
 de  brebis.  D’ailleurs  une  nourriture  convenable  et  
 abondante  développe  les  poissons  avec  rapidité,  fait  
 jouir beaucoup  plutôt du  fruit des  soins que  l’on a  pris  
 de ces animaux,  et  leur  donne  la  faculté  de  pondre et  
 de féconder  une  très-grande  quantité d’oeufs  pendant  
 un  très-grand nombre  d’années.