une terre qui disparoît sous des couches épaisses de
neiges endurcies, à une mer immobile, froide, gelée,
solide dans sa surface, et surchargée au loin d’énormes
glaçons entassés en montagnes sinueuses, ou élevés en
pics sourcilleux. Sur cet Océan endurci par le froid,,
chaque année ne voit régner qu’un seul jour; et pendant
ce jour unique, dont la durée s’étend au-delà de
six mois, le soleil, peu exhaussé au-dessus de la surface-
des mers, mais paroissânt tourner sans cesse autour de
l’axe du monde , élevant ou abaissant perpétuellement:
ses orbes, maisenchaînant toujours ses circonvolutions,
commençant, toutes les fois qu’il répond au même
méridien, un nouveau tour de son immense spirale, ne
lançant que des rayons presque horizontaux, et facilement
réfléchis par les plans verticaux des éminences'
de glace, illuminant de sa clarté mille fois répétée les
sommets de ces monts en quelque sorte Cristallins ,•
resplendissant sur leurs’ innombrables faces , et ne
pénétrant qu’à peine dans les cavités qui les séparent,.
rend plus sensible par le contraste frappant d’une lumière
éclatante et des ombres épaisses , cet étonnant
assemblage de sommités escarpées et de profondes
anfractuosités.
Cependant la même année voit succéder une nuit
presque égale à ce jour. Une clarté nouvelle en dissipe
les trop noires ténèbres ; les ondes congelées renvoient,
dispersent et multiplient dans l’atmosphère',
la lueur argentée de la lune, qui a pris la place du
soleil ; et la lumière boréale étalant, au plus haut des
airs, des feux variés que n’efface ou ne ternit plus
l’éclat radieux de l’astre du jour , répand au loin
ses gerbes , ses faisceaux , ses flots. enflammés , ses
tourbillons rapides , e t , dans une sorte de renversement
remarquable , montre dans un ciel sans nuages
toute l’agitation du mouvement, pendant que la mer
présente toute l’inertie du repos. Une teinte extraordinaire
paroît et dans l’air, et sur les eaux , et sur de
lointains rivages ; un demi-jour, pour ainsi dire mystérieux
et magique, règne sur un vaste espace immobile
et glacé. Quelle solitude profonde ! tout se tait dans
ce disert horrible. A peine, du moins , quelques échos
funèbres et sourds répètent-ils foiblement et dans le
fond de l’étendue, les. gémissemens rauques et sauvages
des oiseaux d’eau égarés dans la nuit , afFoiblis
par le froid, tourmentés par la faim. Ce théâtre du
néant se resserre tout d’un coup ; des brumes épaisses
se reposent sur l’Océan ; et la vue est arrêtée par de
lugubres ténèbres. Cependant la scène va changer encore.
Une tempête d’un nouveau genre se prépare. Une
agitation intestine commence ; un mouvement violent
vient de très-loin , se communique avec vitesse de
proche en proche» s’accroît en s’étendant, soulève avec
force les eaux des mers contre les voûtes qui les compriment
; un craquement affreux se fait entendre ;
c’est l’épouvantable tonnerre de ces lieux funestes ;
les efforts des ondes bouleversées redoublent; les monts