« Nous voici parvenus au plus haut des forces de
la Nature, au sommet de tous les exemples de son
pouvoir. Une immense manifestation de sa puissance
occulte se présente d’elle-même; ne cherchons rien
au-delà, n’en espérons pas d’égale ni de semblable:
ici la Nature se surmonte elle-même, et le déclare
par des effets nombreux. Qu’j a -t-il de plus violent
que la mer, les vents, les tourbillons et les tempêtes?
Quels plus grands auxiliaires le génie de l'homme
s’est-il donnés que les voiles et les rames? Ajoutez
la force inexprimable des flux alternatifs qui font un
fleuve de tout l’Océan. Toutes ces puissances et toutes
celles qui pourvoient se réunir à leurs efforts, sont
enchaînées par un seul et très-petit poisson qu’on
nomme échénéis. Que les vents se précipitent, que
les tempêtes bouleversent les flots, il commande à
leurs fureurs, il brise leurs efforts, il contraint de
rester immobiles des vaisseaux que n’auroit pu retenir
aucune chaîne, aucune ancre précipitée dans la mer,
et assez pesante pour ne pouvoir pas en être retirée.
Il donne ainsi un frein à la violence, il dompte la rage
des élémens, sans travail, sans peine , sans chercher
à retenir, et seulement en adhérant: il lui suffit, pour
surmonter tant d’impétuosité, de défendre aux navires
d’avancer. Cependant les flottes armées pour la guerre
se chargent de tours et de remparts qui s’élèvent pour
que Ion combatte au milieu des mers comme du haut
des murs. O vanité humaine! un poisson très-petit
contient leurs éperons armés de fer et de bronze, et
les tient enchaînées ! On rapporte que, lors de la bataille
d’Actium , ce fut un échénéis qui, arrêtant le navire
d’Antoine au moment où il alloit parcourir les rangs
de ses vaisseaux et exhorter les siens , donna à la flotte
de César la supériorité de la vitesse et l'avantage d’une
attaque impétueuse. Plus récemment , le bâtiment
monté par Caïus lors de son retour d’Andura à Antiùrn,
s’arrêta sous l’effort d’un échénéis : et alors le rémora
fut un augure ; car à peine cet empereur fut-il rentré
dans Rome, qu’il périt sous les traits de ses propres
soldats. Au reste, son étonnement ne fut pas long ,-
lorsqu’il vit que, de toute sa flotte, son quinquérème
seul n’avançoit pas : ceux qui s’élancèrent du vaisseau
pour en rechercher la cause, trouvèrent l’échénéis-
adhérent au gouvernail, et le montrèrent au prince
indigné qu’un tel animal eût pu l’emporter sur quatre'
cents rameurs, et très-surpris que ce poisson , qui dans
la mer avoit pu retenir son navire , n’eût plus de puissance
jeté dans le vaisseau. Nous avons déjà rapporté
plusieurs opinions, continue Pline, au sujet du pouvoir
de cet échénéis que quelques Latins ont nommé rémora.
Quant à nous-, nous ne doutons pas que tous les genres
des habitans de la mer n’aient une faculté semblable.
L’exemple célèbre et consacré dans le temple de Gnide
ne permet pas de refuser la même puissance à des
conques marines*. Et de quelque manière que tous ces
* Yoyez-, au sujet de ces coquilles, le chap.- 26 du liv. 9. de Pluie..