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et remplie d’un suc très-verd ; l’estomac sillonné par
des rides longitudinales ; le canal intestinal deux fois
replié ; le péritoine brunâtre ; et la vessie natatoire
longue, large , attachée au dos et argentée.
Commerson a observé le germon dans le grand
Océan austral , improprement appelé mer Pacifique,
vers le vingt-septième degré de latitude méridionale ,
et le cent troisième de longitude.
Il vit pour la première fois cette espèce de scombre
dans le voyage qu’il fit- sur cet océan , avec notre
célèbre navigateur et mon savant confrère Bougainville.
Une troupe très-nombreuse d’individus de cette
espèce de scombre entoura le vaisseau que montoit
Commerson ; et leur vue ne fut pas peu agréable à
des matelots et à des passagers fatigués par l’ennui
et les privations inséparables d’une longue navigation.
On tendit tout de suite des cordes garnies
d’hameçons ; et on prit très-promptement un grand
nombre de ces poissons, dont le plus petit pesoit plus
d’un myriagramme , et le plus gros plus de trois. A
peine ces thoracins étoient-ils hors de l’eau , qu’ils
mouraient au milieu des tremblemens et des. soubresauts.
Le% marins , rassasiés de l’aliment que ces animaux
leur fournirent, cessèrent d’en prendre : mais
les troupes de germons , accompagnant toujours le
vaisseau , furent, pendant les jours suivans, l’objet de
nouvelles pêches, jusqu’à ce que, les matelots se dégoûtant
de cette sorte de nourriture, les pêcheurs man-
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* quèrent aux poissons, dit le voyageur naturaliste, mais
non pas les poissons aux pêcheurs. Le goût de la chair
des germons étoit très-agréable, et comparable à celui
des thons et des bonites ; et quoique les matelots en
mangeassent jusqu’à satiété , aucun d’eux n’en éprouva
l’incommodité la plus légère.
Commerson ajoute, à ce qu’il dit des germons , une
observation générale que nous croyons utile de rapporter
ici. Il pense que tous les navires ne sont pas
également suivis par des colonnes de scombres ou
d autres poissons analogues -à ces légions de germons
dont nous venons de parler; il assure même qu’ona vu,
lorsque deux ou plusieurs vaisseaux voguoient de conserve,
les poissons ne s’attacher qu’à un seul de ces bâti-
mens , ne le jamais quitter pour aller vers les autres, et
donner ainsi à ce bâtiment favorisé une sorte de privilège
exclusif pour la pêche. Il croit que cette préférence
des troupes de poissons pour un navire dépend du plus
ou moins de subsistance qu’ils trouvent à la suite de
ce vaisseau , et sur-tout de la saleté ou de l’état extérieur
du bâtiment au-dessous de sa ligne de flottaison.
Il lui a semblé que les navires préférés étoient ceux
dont la carène avoit été réparée le plus anciennement,
ou qui venoient de servir à de plus longues navigations :
dans les voyages de long cours , il s’attache sous les
vaisseaux , des fucus , des goémons , des corallines,
des pinceaux de mer, et d’autres plantes ou animaux
marins qui peuvent servir à nourrir les poissons et