Ces faits qui me paroiffent bien confiâtes, nous
démontrent que dans les climats chauds, la mule peut
non-feulement concevoir, mais perfectionner & porter à
terme fon fruit. On m’a écrit d’Efpagnè & d Italie, qu on
en avoit piufieurs exemples, mais aucun des faits qui
m’ont été tranfmis n’ eft aufli bien vérifie que celui que je
viens de rapporter ; feulement il nous refte a fàvoir fi
cette mule de Saint-Domingue ne tenoit pas fa conception
de l’âne plutôt que du mulet; la reffemblance de fon
muleton au premier plus qu au fécond de ces animaux
paroîtroit l ’indiquer ; l’ardeur du tempérament de l’âne
le rend peu délicat fur le choix des femelles, & le porte
à rechercher prefque également i’âneffe, la jument &
la mule.
Il eft donc certain que le mulet peut engendrer &
que la mule peut produire ; ils ont comme les autres
animaux tous les organes convenables & la liqueur ne-
ceffaire à la génération ; feulement ces animaux d’efpèce
mixte, font beaucoup moins féconds, & toujours plus
tardifs que ceux d’efpèce pure; d’ailleurs ils n’ont jamais
produit dans les climats froids, & ce n’eft que rarement
qu’ils produifént dans les pays chauds, & encore plus
rarement dans les contrées tempérées ; dès-lors leur infécondité
, fans être abfolue, peut neanmoins etre regardée
comme pofitive, puifque la production eft fi rare qu’on
peut à peine en citer un certain nombre d exemples, mais
on a d’abord eu tort d’affurer qu’abfolument les mulets
& les mules ne pouvoient engendrer, &enfuite on a, eu
des Animaux quadrupèdes. 19
encore plus grand tort d’avancer que tous les autres
animaux d’efpèces mélangées étoient comme les mulets
hors d’état de produire; les faits que nous avons rapportés
ci-devant fur les métis produits par le bouc &
la brebis, fur ceux du chien & de la louve, & particulièrement
for les métis des férins & des autres oifeaux,
nous démontrent que ces métis ne font point inféconds,
& que quelques-uns font même auffi féconds à peu-près
que leurs père & mère.
Un grand défaut ou pour mieux dire un vice très-
fréquent dans l’ordre des connoiftances humaines, c’eft
qu’une petite erreur particulière & fouvent nominale,
qui ne devroit occuper que fa petite place en attendant
qu’on la détruife, fo répand fur toute la chaîne des chofes
qui peuvent y avoir rapport, & devient par-là une erreur
de fait, une très-grande erreur & forme un préjugé général,
plus difficile à déraciner que l’opinion particulière qui lui
fert de bafe. Un mot, un nom qui, comme le mot mulet
n’a dû & ne devroit encore repréfenter que l ’idée particulière
de l'animal provenant de l’âne & de la jument,
a été mal-à-propos appliqué à l’animal provenant du
cheval & de l’âneffe, & enfuite encore plus mal à tous les
animaux quadrupèdes & à tous les oifeaux d’efpèces mélangées.
E t comme dans fa première acception, ce mot
mulet renfermoit l ’idée de l’infécondité ordinaire de
l ’animal provenant de l’âne & de la jument, on a fans
autre examen tranfporté cette même idée d’infécondité
à tous les êtres auxquels on a donné le même nom de
C ij