et de contempler des choses nouvelles : plaisir auquel n’est pas insensible
lui-même l’homme le plus ignorant, entraîné à son insu par le
plus noble des instincts, le désir inné en nous de voir et de connaître.
L’observation des mammifères et des oiseaux de la Grèce ne saurait
nous offrir un semblable attrait. Les mammifères, ainsi que nous le
verrons bientôt, n’existent en Grèce qu’en très-petit nombre, et il est
facile de prévoir que des êtres pourvus, comme le sont les oiseaux,
d’organes de progression tout-puissans, ne sauraient se renfermer uniquement
dans une seule et même contrée. Cependant leur étude doit-
elle être sans intérêt? ne saurait-elle nous conduire à quelques résultats
utiles pour la science? Les faits les plus piquans de nouveauté sont-ils
nécessairement les plus féconds en instruction? Nous ne le pensons pas,
et peut-être les considérations suivantes pourront-elles ôter à cette opinion
le caractère paradoxal qu’elle semble présenter au premier aspect.
Sans doute, si la zoologie n’avait d’autre but que de dresser le catalogue
des innombrables animaux qui peuplent la surface du globe; si
l'enrichissement de ce catalogue déjà immense, en d’autres termes, si
la découverte d’espèces nouvelles était le seul genre de progrès que
réclamât la science, la comparaison entre des êtres appartenant à des
régions séparées par d’énormes distances ou par des différences importantes
de température et de climat, mériterait seule de devenir le sujet
de nos travaux, puisqu’elle seule peut nous offrir le spectacle de
diversités organiques, rendues évidentes par des caractères tranchés et
remarquables. Mais la zoologie mériterait-elle le nom de science, si,
purement descriptive et nullement philosophique, elle ne se composait
que de résultats dus à des travaux de ce genre ? Et s’il lui importe de
dénombrer avec exactitude les espèces animales, de noter avec soin les
différences qui les distinguent, l’origine et la formation des espèces, la
nature et les causes de leurs différences ne sont-elles pas aussi pour elle
des questions d’un intérêt réel, immense même ? Or, il est évident que
c’est surtout la comparaison des êtres de contrées peu distantes et peu
différentes les unes des autres, qui peut jeter du jour sur ces questions
compliquées, difficiles, ardues, mais cependant accessibles à notre
raisonnement et à nos observations. Là, sous l’action de causes de
diversité réelles et actives, mais moins puissantes, se sont établies des
différences moins tranchées ; là se montre souvent avec une parfaite évidence
l’influence des circonstances locales qui, laissant subsister toutes
les conditions essentielles du fond commun, lui a fait subir une légère
altération : en d’autres termes, là s’établissent ces types peu distincts
que tous les zoologistes désignent sous le nom de v a r ié té s d e lo c a l it é ,
reconnaissant ainsi d’un accord unanime dans l’application et, si je
puis me servir de cette expression, dans la pratique, cette puissance
modificatrice des agens extérieurs, qu’un si grand nombre d’entre eux
nient plus ou moins complètement dans leurs théories. Ces v a r ié té s de
lo c a l it é , tendant à établir des passages d’une espèce à l’autre, n’ont été
jusqu’à présent en histoire naturelle qu’un sujet de graves difficultés et
de continuelles hésitations; et il en sera de même tant que la distinction
des êtres, tant que la connaissance nette et précisé des différences sera
le principal et presque l’unique but des travaux de la plupart des
zoologistes. Au contraire, que les progrès de la science viennent à
amener le moment (et sans doute nous y touchons) où l’on voudra
non-seulement noter, mais apprécier les différences, non-seulement
classer les espèces, mais expliquer leur formation, l’étude des v a r ié té s
d e lo c a l it é , ces d em i-e sp è c e s , ainsi qu’on pourrait les appeler, deviendra
l’un des sujets de prédilection des travaux des zoologistes, parce
qu’elle sera l’un des sujets les plus féconds en résultats nets, précis et*
d’une application immédiate à la philosophie naturelle.1
Un autre genre d’intérêt s’attache aussi dans quelques cas particuliers
à l’étude comparative d’êtres appartenant à des régions peu
éloignées. Certaines contrées, placées entre deux zones très-différentes
par leur climat et intermédiaires entre elles par leurs conditions physiques,
comme par leur situation, doivent aux circonstances particulières
de leur disposition topograpbique de nous offrir vraiment un passage
marqué entre deux ordres de choses, ou, suivant une expression déjà
admise dans la science et déjà employée dans cet article, entre deux
i . Ces idées peuvent aussi être appliquées avec beaucoup d’avantage à l’élude de. l’homme'lui-
mêine et à l’examen de plusieurs des questions aussi importantes que difficiles, qui se rattachent
à son..histoire. Voyez notre Histoire générale des anomalies de Vorganisation, t. I , p. 2o4- 25o.