éloignées; mais, loin que ces différences aient pu nous paraître propres à fournir
des caractères spécifiques, nous les avons retrouvées, quelquefois même nous en
avons aperçu de non moins marquées, non-seulement entre des crânes appartenant
à des individus de la même localité, mais, il y a plus, entre les deux côtés d’un
même crâne.
§. Y . Considérations générales.
Les résultats de ces comparaisons ne nous permettaient pas d’hésiter un seul
instant. Connaissant des Chacals d’un grand nombre de localités différentes., et
apercevant entré tous quelques caractères particuliers, nous nous trouvions eh effet
dans la nécessité ou d’admettre pour eux autant d’espèces distinctes, auxquelles les
découvertes des voyageurs eh eussent bientôt ajouté un grand nombre d’autres, ou
bien de les rapporter comme simples variétés à une seule et même espèce, conservant
partout les mêmes caractères généraux, mais modifiée quelquefois dans un ou plusieurs
de ces caractères de dernière valeur, qui ne sauraient exercer aucune influence
sur les moeurs et les habitudes.
Ces dernières idées sont celles que nous avons adoptées, et elles nous paraissent
même établies sur des fondemens si solides, que, sans chercher des preuves à leur
appui dans l’histoire d’un grand nombre d’autres animaux, nous citerons les résultats
auxquels nous sommes arrivé, comme offrant eux-mêmes la confirmation d’un fait
très-curieux de géographie zoologique, l ’existence du Lion en Grèce dans les temps
anciens.
Le l io n est, comme le Chacal, une espèce répandue dans une grande partie de
la surface du continent, et y subissant, comme lui, un assez grand nombre de modifications
sous l’influence des circonstances diverses de localité. Ces deux espèces
semblent partout s’accompagner mutuellement, et là où l’une d’elles vient à se rencontrer
seule, les témoignages historiques attestent toujours que l’autre y existait
aussi à une époque plusounaoins reculée. Ainsi, en laissant de côté l’Afrique presque
tout entière, où l’existence simultanée du Lion et du Chacal est connue de
tous les zoologistes, le Lion se retrouve encore dans plusieurs contrées de l’Asie,
par exenlple, dans l’Arabie, dans la Perse, dans l’Inde : contrées qui toutes nourrissent
également des Chacals légèrement différens, comme nous venons de le
voir, des Chacals d’Afrique, de même que les Lions d’Asie, ainsi qu’il résulte du
témoignage; des voyageurs *, ne ressemblent entièrement à aucune des variétés de
Lions qui peuplent l’Afrique 2. On ne peut non plus douter de l’existence du Chacal
1 . Voyez entre autres Olivier, Voyage dans l’empire ottoman, tome H , page 4a6.
2. Consultez, sur les diverses races d élio n s aujourd’hui vivantes et sur la variété^qui,,existait autrefois
en Grèce, le mémoire que mon père a joint au présent travail et qui va suivre immédiatement.
dans l ’Asie mineure, où l’on trouvait aussi autrefois des Lions, d’après des témoignages
historiques dignes de foi. Enfin, dans l’Europe orientale elle-même, où le
Chacal vient d’être retrouvé, vivaient aussi autrefois des Lions, ainsi que nous l’apprennent,
de la manière la plus positive, Hérodote et Aristote. Du temps d’Aristote,
et probablement aussi du temps d’Hérodote , il est vrai que le Lion n’existait plus
que dans le nord de la Grèce; mais qui ne voit qu’un aussi redoutable ennemï de
l’homme n’a pu subsister dans toute la Grèce méridionale, au milieu de la civilisation
toute-puissante des peuples du PélOponèse, de l’Attique et de la Béotie?
Il est arrivé pour le Lion et le Chacal, d’abord dans ces belles contrées, puis un peu
plus tard dans le nord de la Grècç et dans plusieurs parties de l’Asie, ce qui arrivera
nécessairement, et ce qui a même déjà eu lieu en quelques localités dans notre
Europe, pour le loup et le renard. L’un disparaît promptement, précisément à cause
de sa force immense et de la juste terreur qu’il inspire autour de lui; car l’homme
lui fait partout une guerre continue et terrible ;vfautre, d’ailleurs habitant des terriers,
doit, au contraire, à sa faiblesse de subsister plus long-temps; il ne tombera
victime que dès .derniers progrès de la civilisation humaine. ’-Tel a été le sort du
Lion, tel sera celui du Chacal: partout où les hommes sont devenus ou deviendront
puissans par l ’associatiôh' et les arts, le Lion a dû ou doit périr; mais le
Chacal, lâche et craintif, a pu et peut trouver dans l’obscurité de ses attaques, ou
plutôt de ses brigandages, un asile long-temps assuré, et survivre pendant des siècles
entiers à: la destruction du plus terrible enneüii de l ’homme.
C’est ainsi que l ’on peut concevoir comment de deux espèces, partout compagnes
l’une de l’autre dans les temps anciens, l’une a disparu, l ’autre a subsisté.
La puissance de l’homme, indépendamment de toutes les causes hypothétiques que
l ’on a déduites de changemens présumés de température, suffit pleinement pour
expliquer de tels faits, et se révèle ainsi à nous par une preuve de plus, comme
l ’une des causes les plus actives de la perturbation de l’ordre naturel des choses et
de la distribution primitive des espèces à la surface dü globe.