L E S V A U T O U R S .
l—i'o N a donné aux Aigles le premier rang parmi les oifeaux
de proie, non parce qu’ils font plus forts & plus grands que
les vautours, mais parce qu’ils font plus généreux, c’eft-à-dire
moins baffement cruels ; leurs moeurs font plus fières, leurs
démarches plus hardies, leur courage plus nohle, ayant au moins
autant de goût pour la guerre que d’appétit pour la proie ; les
vautours au contraire, n’ont que l’inftinâ de la baffe gourman-
dife & de la voracité ; ils ne combattent guère les yivans que
quand ils ne peuvent s’affouvir for les morts, L ’aigle attaque fes
ennemis ou fes viétimes corps à corps ; feul il les pourfoit, les
cômbat , les faifit ; les •vautours au contraire, pour peu qu’ils
prévoient de réfiftance, fe réunifient en troupes comme de lâches
afîâffins, & font plutôt des voleurs que des guerriers, des oifeaux
de carnage que des oifeaux de proie; car dans ce genre il n’y
a qu eux qui fe mettent en nombre & plufieurs contre un ; il
ny a queux qui s acharnent for les cadavres au point de les
déchiqueter jufqu’aux os ; la corruption, l’infeélion les attire au
lieu de les repouffer: les éperviers, les faucons & jufqu’aux plus
petits oifeaux montrent plus de courage, car ils chaffent feuls ,
& prefque tous dédaignent la chair morte, & refofent celle qui
eu corrompue: dans les oifeaux comparés aux quadrupèdes, le
vautour femble réunir la force & la cruauté du tigre, avec la
lâcheté & la goùrmandife du chacal, qui fe met également en
troupes pour dévorer les charognes & déterrer les cadavres ;
tandis que l’aigle a, comme nous l’avons dit, le courage, la
nobleffe, la magnanimité & la munificence du lion.
On doit donc d’abord diftinguer les vautours des aigles par
cette différence de naturel , & on les reconnoîtra à la fimple
infpeélion en ce qu’Hs ont les yeux à fleur de tête, au lieu que
les aigles les ont enfoncés dans l’orbite; la tête nue, le cou auflï
prefque nu, couvert d’un fimple duvet ou mal garni de quelques
crins épars, tandis que l’aigle a toutes ces parties bien couvertes
de plumes ; à la forme des ongles , ceux des aigles étant prefque
demi-circulaires, parce qu’ils fe tiennent rarement à terre, &
ceux des vautours étant plus courts & moins courbés ; à l’efpèce
de duvet fin qui tapiffe l’intérieur de leurs ailes, & qui ne fe
trouve pas dans les autres oifeaux de proie; à la partie du deffous
de la gorge qui eft plutôt garnie de poils que de plumes ; â leur
attitude plus penchée que celle de l’aigle qui fe tient fièrement
droit, & prefque perpendiculairement for fes pieds; au lieu que
le vautour dont la fitüation eft à demi horizontale, femble
marquer' la baffeffe de fon caraétère par la pofition inclinée de
fon corps : on reconnoîtra même les vautours de loin, en ce
qu’ils font prelque les feuls oifeaux de proie qui volent en
nombre, c’eft-à-dire plus de deux enfemble; & aufîi parce qu’ils
ont le vol pelant , & qu’ils ont même beaucoup de peine à
s’élever de terre, étant obligés de s’efîàyer & de s’efforcer à
trois ou quatre reprifes, avant de pouvoir prendre leur plein
efîor (a).
(a ) N ota. M . Ray Sc M . Saleme, qui na fait preique par-tout que fe copier mot pour
mot, donnent encore pour différences caraélériftiques entre les vautours 5c les aigles, la forme
du bec qui ne fê recourbe pas immédiatement à là naifîance 5c fê maintient droit jufqü’à
deux pouces de diftance de ion origine; mais je dois obferver que ce caraélère n’eft pas bien
indiqué, car le bec des aigles ne fè recourbe pas non plus dès là naifîance, il fê maintient
d’abord droit, 5c la feule différence eft que dans le vautour cette partie droite du bec eft
plus longue que dans l’aigle ; d’autres Naturalifles donnent auflx comme différence caraété-
riftique la proéminence du jabot, plus grand dans les vautours que dans les aigles, mais ce