les deux autres, & qui eft auffi moins lourd fur le poing, &
moins dangereux pour fon maître, fe fut trouvé également
courageux, on n’auroit pas manqué de s’en fervir pour la chaflè,
mais il eft auffi lâche que plaintif & criard. Un épervier tien
dreffé fùffit pour ie vaincre & l'abattre (h) : d’ailleurs on voit
par les témoignages de nos Auteurs de fauconnerie, qu’on n’a
jamais dreffé, du moins en France, que les deux premières
efpèces d’aigles; favoir le grand aigle ou aigle fauve, & l’aigle
brun ou noirâtre, qui eft l’aigle commun. Pour les inftruire,
il faut les prendre jeunes; car un aigle adulte eft non-feulement
indocile, mais indomptable; il faut les nourrir avec la chair du
gibier qu’on veut leur faire chaflèr. Leur éducation exige des
foins encore plus affidus que celle des autres oifeaux de fauconnerie
; nous donnerons le précis de cet art à l’article du faucon.
Je rapporterai feulement ici quelques particularités que Ion a
obfervées fur les aigles, tant dans leur état de liberté que dans
celui de captivité.
La femelle qui dans 1 aigle, comme dans toutes les autres
efpèces d’oifeaux de proie, eft plus grande que le mâle, &
femble être auffi dans l’état de liberté plus hardie, plus coura-
geufe & plus fine, ne paraît pas conferver ces dernières qualités
dans l’état de captivité. On préfère d’élever des mâles pour la
chaffe ; & l’on remarque qu’au printemps îorfqiie commencé la
( k ) C ’eft à cette efpèce d’aigle lâche qu’il faut rapporter le paflàge iùivant. « Il y a auffi
» des aigles dans les montagnes voifines deTauris (en Perfè) ; j’en ai vu vendre un cinq fous
» par des payfâns. Les gens de qualité volent cet oifëau avec i’épervier; ce vol eft tout-à-fàit
»quelque chofè de curieux & de fort admirable: la façon dont leperyier abat l’aigle, c’eft
»qu’il voleau-deffus fort haut, fond fur lui avec beaucoup de vîteflê, lui enfonce les
» ferres.dans les flancs, & de lès ailes lui bat la tête en volant toujours: il arrive pourtant
quelquefois que l’aigle & l’épervier tombent tous deux enfèmble ». Voyage de Chardin,
Londres, 1 6 8 6 , pages 2 9 2 à " 2 9 g .
fàifon des amours, ils cherchent à s’enfuir pour trouver une
femelle; en forte que fi ion veut ïes exercer à ïa chaflè dans
cette faifon, on rifque de ïes perdre à moins qu’on ne prenne
ïa précaution d’éteindre leurs defirs en ïes purgeant aflèz vio*
ïemment : on a auffi obfervé que quand ï’aigïe en partant du
poing voie contre terre, & s’élève enfùite en ïigne droite, c’eft
flgne qu’il médite fà fuite; il faut alors ïe rappeler promptement
en ïui jetant fon paft; mais s’il vole en tournoyant au-deffus de
fon maître, fans fè trop éloigner, c’eft ftgne d’attachement &
qu’il ne fuira point. On a encore remarqué que ï’aigïe dreffé à
ïa chaflè, fè jette fouvent fur les autours & autres moindres
oifèaux de proie, ce qui ne lui arrive pas ïorfqu’iï ne fuit que
fon inftinét; car, alors il ne ïes attaque pas comme proie, mais
feulement pour leur en difputer ou enlever ime autre.
Dans l’état de Nature, l’aigle ne chaflè fèuï que dans ïe
temps où ïa femelle ne peut quitter fes oeufs ou fès petits;
comme c’eft ïa fàifon où ïe gibier commence à devenir abondant
par le retour des oifèaux, il pourvoit aifément à fa propre
fùbfiftance & à ceïle de fa femelle; mais dans tous ïes autres
temps de l’année ïe mâle & la femelle paroifïènt s’entendre pour
la chaflè ; on ïes voit prefque toujours enfembïe ou du moins
à peu de diftance l’un de l’autre. Les habitans des montagnes,
qui îont à portée de ïes obferver, prétendent que l’un des
deux bat ïes buiflons, tandis que ï’autre fe tient fur quelqu’arbre
ou fur quelque rocher pour faifir ïe gibier au paflàge : ifs s’élèvent
fouvent à une hauteur fi grande qu’on ïes perd de vue,
& malgré ce grand éloignement leur voix fè fait encore entendre
très-diftinélement, & leur cri reflèmbïe alors à l’aboiement
d’un petit chien. Malgré fa grande voracité, l’aigle peut fè paflèr