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pour le combat & ïa proie, iis font également ennemis de toute
iociété, également féroces, également fiers & difficiles à réduire;
on ne peut íes apprivoifer qu’en ies prenant tout petits. Ce n eil
qu’avec beaucoup de patience & dart quon peut dreiïer à ia
chaffe un jeune aigle de cette efpèce; il devient même dangereux
pour ion maître dès quil a pris de la force & de lage.
Nous voyons par le témoignage des Auteurs, qu anciennement
cm s’en iervoit en Orient pour la challe du vol, mais aujourd hui
onda banni de nos fauconneries; il eil trop lourd pour pouvoir,
fans grande fatigue, ïe porter fur le poing; jamais affez privé,
afîez doux, afiez dur pour ne pas faire craindre íes caprices ou
(es momens de colère à ion maître > H a ie bec & les ongles
crochus & formidables ; là figure répond a fon naturel, inde-
pendamment de fes armes, il a le corps robuile & compaâe,-
les jambes &. les ailes très-fortes, les os fermes, la chair dure,-
les plumes rudes fr j, l’attitude fière & droite, les mouvemens
brufques & le vol très-rapide. C ’eil de tous les oifeaux celui
qui s’élève ïe plus haut, & c’efl par cette raifon que les Anciens
ont appelé Taigïe, Yoijeâu céiefie, & qu’ils ïe regardoient dans
íes augures comme ïe meiïàger de Jupiter. II voit par excellence ¿
mais il n’a que peu d’odorat en comparaifon du vautour ; il ne
chaiïè donc qu’à vue; & lorfqu’il a faifi ià proie il rabat ion vol :
comme pour en éprouver ïe poids , & ïa poie a terre avant.de ,
l’emporter. Quoiqu’il ait l’aile très-forte, comme il a .peu de
fpupleiîè dans les jambes, il a quelque peine à seïever de terre,
fur-tout lorfqu’il eil chargé; il emporte aifément les oies, les
grues; il enlève auffi ïes lièvres & même ïes petits agneaux,
( r ) O n prétend que les plumes de l’aigle font fi rudes, que quand on les mêle avec des
plumes d’autres oifeaux, elles les ufent par le frottement.
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les chevreaux; & lorfqu’il attaque les faons & ïes veaux, c’efl
pour fe raffafier fur ïe lieu de leur fàng & de ïeur chair , &
en emporter enfuite les ïamheaux dans fon aire ; c’efl ainfi qu’on
appelle fon nid, qui eft en effet tout plat & non pas creux
comme celui de ïa plupart des autres oifeaux; il ïe pïace ordinairement
entre deux rochers dans un lieu ïèc & inacceffibïe.
On affure que ïe même nid fert à l’aigle pendant toute fa yie;
ç’efl réellement un ouvrage affez confidérahïe pour n’être fait
qu’une fois, & affez foïide pour durer long-temps; il eil confirait
à peu-près comme un plancher avec des petites perches ou
hâtons de cinq ou fix pieds de longueur, appuyés par les deux
bouts & travérfés par des branches foupïes recouvertes de plu-
fieurs lits de joncs & de bruyères; ce plancher ou ce nid eil
large de plufieurs pieds & affez ferme, non-feulement pour fou-
tenir l’aigle, fa femelle & les petits, mais pour fiipporter encore
le poids d’une grande quantité de vivres; il n’efl point couvert
par le haut & n’ell abrité que par l’avancement des parties lù-
périeures du rocher. La femelle dépofe fes oeufs dans le milieu
de cette aire, elle n’en pond que deux ou trois quelle couve,
dit-on, pendant trente jours; mais dans ces oeufs il s’en trouve
fouvent d’inféconds, & il eil rare de trouver trois aiglons dans
un nid ( f ) , ordinairement il n’y en a qu’un ou deux. On
( f ) U n ami m'a aflùré avoir trouvé en Auvergne un nid daigle, iufpèndu entre deux
rochers, où il y avoit trois aiglons déjà forts. Ornithologie de Salem e, page '4 : N ota. M .
Saieme ne rapporte ce fait que pour appuyer .l’opinion qu’il a adoptée de M. Linnæus; ¿fue
cet aigle produit quatre oeufs; mais je ne trouve pas que M. Linnæus ait.affirmé ‘ ce fait
particulièrement, & ce n’eft qu’en général qu'il a dit que les oiièaux de proie produiibient
environ quatre oeufs. Acdpitres, nidus in a ltis, ova circiter quatuor. Lmn. Sÿft.'jiat.-edit. x ,
tome I . page 8 1 . II eft donc très-probable que cet aigle d’Âuvergnè qui. avoit produit
trois aiglons, n’étoit pas de l’efpèce du grand aigle, mais de celle du petit aigle ou du
balbuzard, dont la ponte eft en effet dé trois ou quatre oeufs.
Tome I.