nous arrivâmes le malade étoit hors de la cabane; le jongleur
, auquel il s’en étoit joint un autre paré des mêmes
ornemens, avoit recommencé fon opération furie ventre,
les cuiffes & le dos de l’enfant. C ’étoit pitié de les
voir martyrifer cette infortunée créature qui fouffroit fans
fe plaindre. Son corps étoit déjà tout meurtri & les Médecins
continuoient encore ce barbare remede avec force
conjurations. La douleur du pere& de la mere, leurs larmes,
l’intérêt vif de toute la bande , intérêt manifefté par
des lignes non équivoques, la patience de l’enfant nous
donnèrent le fpeêtacle le plus attendrilfant. Les Sauvages
s’apperçurent fans doute que nous partagions leur peine ,
du-moins leur méfiance fembla-t-elle diminuée. Ils nous
lailferent approcher du malade & le Major examina fa
bouche enfanglantée que fon pere & un autre Pécherais
fuçoient alternativement. On eut beaucoup de peine à
leur perfuader de faire ufage du lait ; il fallut en goûter plu-
fieurs fois Sc, malgré l’invincible oppofition des jongleurs,
le pere enfin fe détermina à en faire boire à fon fils, il ac
cepta même le don de la caffetiere pleine de tifanne émolliente.
Les jongleurs témoignoient de la jaloufie contre
notre Chirurgien qu’ils parurent cependant à la fin recon-
noître pour un habile jongleur. Ils ouvrirent même pour
lui un fac de cuir qu’ils portent toujours pendu à leur côté
& qui contient leur bonnet de plume , de la poudre blanche
, du talc & les autres inftrumens de leur art ; mais à
peine y eut il jetté les yeux , qu’ils le refermèrent auffi-
tôt. Nous remarquâmes auffi que tandis qu’un des jongleurs
travailloit à conjurer le mal du patient, l’autre ne
fembloit occupé qu’à prévenir par fes enchantemens l’effet
du mauvais fort qu’ils nous foupçonnoient d’avoir jetté
fur eux. Nous
Nous retournâmes à bord à l’entrée de la nuit, l’enfant
fouffroit moins ; toutefois un vomiffement prefque continuel
qui le tourmentoit, nous fit appréhender qu’il ne fut
paflé du verre dans fon eftomac. Nous eûmes enfuite lieu
de croire que nos conjeêlures n’avoient été que trop
jufies. Vers les deux heures après minuit on entendit du
bord des hurlemens répétés ; & dès le point du jour ,
quoiqu’il fit un tems affreux , les Sauvages appareillèrent.
Ils fuyoient fans doute un lieu fouillé par la mort & des
étrangers funefles qu’ils croyoient n’être venus que pour
les détruire. Jamais ils ne purent doubler la pointe occidentale
de la baie; dans un inffant plus calme ils remirent
à la voile, un grain violent les jetta au large & difperfa
leurs foibles embarcations. Combien ils étoient empreffés
à s’éloigner de nous! Ils abandonnèrent furie rivage une
de leurs pirogues qui avoit befoin d’être réparée, Saris ejl
gentem effugijfe nefandam. Ils .ont emporté de nous l’idée
d’êtres malfaifans ; mais qui ne leur pardonneroit le refi-
fentiment dans cette conjonêlure ? Quelle perte en effet
pour une fociété auffi peu nombreufe qu’un adolefcent
échappé à tous les hazards de l’enfance !
Le vent d’Efi: fouffla avec furie & prefque fans inter- Continuât»
ruption jufqu’au 13 que le jour fut affez. doux ; nous eûmes du cuvais
même dans l’après-midi quelque efpérance d’appareiller.
La nuit du 13 au 14 fut calme. A deux heures & demie
du matin nous avions defaffourché & viré à pic ; il fallut
réaffourcher à fix heures , & la journée fut cruelle. Le 1 5
il fit foleil prefque tout le jour, mais le vent fut trop fort
pour que nous puffions fortir.
Le 16 au matin il faifoit prefque calme, la fraîcheur- Danger que
vint enfuite du Nord, & nous 'appareillâmes avec la ma-1court la ■