Secours réciproques
dans
les maladies.
Remarques
fur la langue.
dont la couleur eft confacrée à la mort, & de fe couvrir
le vifage d’un voile. Quand les gens en deuil fortent de
leurs maifons, ils font précédés de plufieurs efclaves qui
battent des caftagnettes d’une certaine maniéré ; leur fon
lugubre avertit tout le monde de fe ranger, foit qu’on ref-
peéte la douleur des gens en deuil, foit qu’on craigne leur
approche comme finiftre & malencontreufe. Au refte il en
efl à Taiti comme par-tout ailleurs; on y abufe des ufages
les plus refpe&ables. Aotourou m’a dit que cet attirail du
deuil étoit favorable aux rendez-vous, fans doute avedes
femmes dont les maris font peu complaifans. Cette cla-
quette dont le fon refpefté écarte tout le monde, ce
voile qui cache le vifage, aflurent aux amans le fecret &.
l’impunité.
Dans les maladies un peu graves tous les proches pa- *
rens fe rafièmblent chez le malade. Ils y mangent & y
couchent tant que le danger fubfifte ; chacun le foigne &
le veille à fon tour. Ils ont auffi l’ufage de faigner ; mais
ce n’eftni au bras ni au pied. Un Taoua, c’efl-à dire, un
Médecin ou Prêtre inférieur, frappe avec un bois tranchant
fur le crâne du malade, flouvre par ce moyen la veine
que nous nommons fagittale ; & lorfqu’il en a coulé fuffi-
famment de fang, il ceint la tête d’un bandeau qui affujet-
tit l’ouverture: le lendemain il lave la plaie avec de
l’ëau.
Voilà ce que j’ai appris fur les ufages de ce pays inté-
reflànt, tant fur les lieux mêmes que par mes conventions
avec Aotourou. Gn trouvera à la fin de cet Ouvrage le
vocabulaire des mots Taitiens que j’ai pu raffembler. En
arrivant dans cette île nous remarquâmes que quelques-uns
des mots prononcés parles infulaires, fe trouvoient dans le
vocabulaire inféré à la fuite du voyage de le Maire fous le
titre de Vocabulaire des îles des Cocos. Ces îles en effet, félon
l’effime de le Maire & de Schouten, ne fçauroient
être fort éloignées de Taiti, peut-être font-elles partie de
celles que m’a nommées Aotourou. La langue de Taiti efl;
douce, harmonieufe & facile à prononcer.. Les mots n’en
font prefque compofés que de voyelles fans afpiration;
on n’y rencontre point de lyllabes muettes, fourdes ou
nafales, ni cette quantité de confonnes & d’articulations qui
rendent certaines langues fi difficiles. Auffi notre Taitien
ne pouvoit-il parvenir à prononcer le François. Les mêmes
caufes qui font accufer notre langue d’être peu mufi-
cale,la rendoient inacceffible à fes organes.On eût plutôt
réuiîi à lui faire prononcer l’Efpagnol ou l’italien.
M. Pereire, célébré par fon talent d’enfeigner à parler
& bien articuler aux lourds & muets de naiffance, a examiné
attentivement & plufieurs foisAotourou,& a reconnu
qu’il ne pouvoit phyfiquement prononcer la plûpart de
nos confonnes, ni aucune de nos voyelles nafales. M. Pé-
reire a bien voulu me communiquer à ce fujetun mémoire
qu’on trouvera inféré à la fuite .du vocabulaire de Taiti.
Au refte la langue de cette île efl affez abondante ; j’en
juge par ce que, dans le cours du voyage , Aotourou a
mis en ftrophes cadencées tout ce qui l’a frappé. C’eft une
efpece de récitatif obligé qu’il improvifoit. Voilà fes annales,
& il nous a paru que fa langue lui fournifloit des ex-
preffions pour peindre une multitude d’objets tous nouveaux
pour lui. D’ailleurs nous lui avons entendu chaque
jour prononcer des mots que nous ne connoiffions pas encore
, & entre autres déclamer une longue priere, qu’il