Ilesvoifines.
Inégalité des
conditions.
en connoiffent le mouvement diurne, & ils s’en fervent
pour diriger leur route en pleine mer d’une île à l’autre.
Dans cette navigation , quelquefois de plus de trois cents
lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur bouffole eft le
cours du foleil pendant le jour, & la pofition des étoiles
pendant les nuits , prefque toujours belles entre les tropiques.
Aotourou m’a parlé de plusieurs îles, les unes confédérées
de Taiti, les autres toujours en guerre avec elle. Les
îles amies font Aimeo , Maoroua, Aca, Oumaitia & Ta-
poua-majjbu. Les ennemies font Papara, Alatea, Otaa,
Toumaraa, Oopoa. Ces îles font auffi grandes que Taiti.
L ’île de Pare , fort abondante en perles, eft tantôt fon alliée
, tantôt fon ennemie. Enoua - motou & Toupai font
deux petites îles inhabitées, couvertes de fruits, de cochons
, de volailles, abondantes en poilfons & en tortues;
mais le peuple croit qu’elles font la demeure des Génies;
c’eft leur domaine, & malheur aux bateaux que le hazard
ou la curiofité conduit à ces îles facrées. Il en coûte la vie
à prefque tous ceux qui y abordent. Au refte ces îles gif-
fent à différentes diftances de Taiti. Le plus grand éloignement
dont Aotourou m’ait parlé, eft à quinze jours
de marche. C ’eft fans doute à-peu-près à cette diftànce
qu’il fuppofoit être notre patrie , lorfqu’il s’eft déterminé à
nous fuivre.
J’ai dit plus haut que les habitans deTaiti nous avorent
paru vivre dans un bonheur digne d’envie. Nous lesavions
cru prefque égaux entre eux, ou du-moins jouiffant d’une
liberté qui n’étoit foumife qu’aux loix établies pour le bonheur
de tous. Je me trompois ; la diftinâion des rangs eft
fort marquée à Taiti, & la difproportion cruelle. Les Rois
& les Grands ont droit de vie & de mort fur leurs efclaves
& valets; je ferois même tenté de croire qu’ils ont auffi ce
droit barbare fur les gens du peuple qu’ils nomment Tata-
einou, hommes vils ; toujours eft-il fur que c’eft dans cette
clafle infortunée qu’on prend les viâimes pour les facrifi-
cés humains. La viande & le poiffon font réfervés à la
table des Grands ; le peuple ne vit que de légumes & de
fruits. Jufqu’à la maniéré de s’éclairer dans la nuit diffé-
rentie les états , Sd’efpece de bois qui brûle pour les gens
confidérables, n’eft pas la même que celle dont il eft permis
au peuple de fe fervir. Les Rois feuls peuvent planter
devant leurs maifons l’arbre que nous nommons le
Jaule pleureur ou Harbre du grand Seigneur. On fait qu’en
courbant les branches de cet arbre & les plantant en
terre, on donne à fon ombre la direction & l’étendue
qu’on defire ; àTaiti il eft la falle à manger desRois.
Les Seigneurs ont des livrées pour leurs valets ; fuivant
que la qualité des maîtres eft plus ou moins élevée , les
valets portent plus ou moins haut la piece d’étoffe dont ils
fe ceignent. Cette ceinture pend immédiatement fous les
bras aux valets des chefs, elle ne couvre que les reins
aux valets de la derniere claffe des nobles. Les heures ordinaires
des repas font lorfque le foleil paffe au méridien
& lorfqu’il eft couché. Les hommes ne mangent point
avec les femmes, celles-ci feulement fervent aux hommes
les mets que les valets ont apprêtés.
A Taiti on porte régulièrement le deuil qui fe nomme
eeva. Toute la nation porte le deuil de fesRois. Le deuil
des peres eft fort long. Les femmes portent celui des maris,
fans que ceux-ci leur rendent la pareille. Les marques
de deuil font de porter fur la tête une coeffure de plumes