■ Leurs pirogues font d’écorces mal liées avec des joncs
& de la moufle dans les coutures. Il y a au milieu un
petit foyer de fable où ils entretiennent toujours un peu de
feu. Leurs-armés. font des arcs faits, ainfi. que les fléchés,
avec le bois d’une épinevinette à feuille de hou, qui eft
commune dans le détroit, la corde eft de boyau & les
fléchés font armées de pointes de pierre, taillées avec allez
d’art ; mais ces armes font plutôt contre le gibier que contre
des ennemis : elles font aufli foibles que les bras defti-
nés à s’en fervir. Nous leur avons vu de plus des os de
poilfon longs d’un pied, aiguifés par le bout & dentelés
fur un des côtés*. Eft-ce un poignard ? je crois plutôt que
c’eft un inftrument de pêche. Us l’adaptent à une longue
perche, & s’en fervent en maniéré de harpon. Ces Sauvages
habitent pêle-mêle, hommes, femmes & enfans,
dans les cabanes au milieu defquelles ell allumé le feu.
Ils fe nourriffent principalement de coquillages ; cependant
ils ont des chiens & des lacs faits de barbe de baleine.
J’ai obfervé qu’ils avoient tous les dents gâtées* &
je crois qu’on en doit attribuer la caufe à ce qu’ils mangent
les coquillages brûlans , quoique à moitié cruds.
Au refte, ils paroiffent affez bonnes gens, mais ils font
fl foibles, qu’on eft tenté de ne pas leur en fçavoir gré.
Nous avons cru remarquer qu’ils font fuperftitieux &
croient à des génies malfaifans , aufli chez eux les mêmes
hommes qui en conjurent l’influence font en même-tems
médecins & prêtres. De tous les Sauvages que j’ai vus
dans ma vie,, les Pécherais font le plus dénués de tout: ils
font exaêfement dans ce qu’on peut appeller l’état de nature
en vérité fi l’on devoir plaindre le fort d’un homme
libre & maître de lui-même, fans devoirs & fans affaires,
content de,,ce qu’il a parce qu’il ne connoît pas mieux , je
plaindrois ces hommes qui, avec la privation de ce qui rend
la vie commode, ont encore à fouffrir la dureté du plus affreux
climat de l’Univers. Ces Pécherais forment aufli la
fociété d’hommes la moins nombreufe que j’aye rencontré
dans toutes les parties du monde ; cependant, comme on
en verra la preuve un peu plus bas, on trouve parmi eux
des charlatans. C’eft que dès qu’il y a enfemble plus d’une
famille, & j’entends par famille, pere, mere & enfans,
les intérêts deviennent compliqués , les individus veulent
dominer ou par la force ou par l’impofture. Le nom de
famille fe change alors en celui de fociété, & fût-elle établie
au milieu des bois, ne fut-elle compofée que de cou-
flns germains , un efprit attentif y découvrira le germe de
tous les vices auxquels les hommes raffemblés en nations
ont, en fe poliçant, donné des noms, vices qui font naître
, mouvoir & tomber les plus grands empires. Il s’enfuit
du même principe que dans les fociétés, dites policées ,
naiffent des vertus dont les hommes, voiftns encore de
l’état de nature, ne font pas fufceptibles.
Le 7 & le 8 furent fi mauvais qu’il n’y eut pas moyen
de lortir du bord ; nous chaffâmes même dans la nuit &
fûmes obligés de mouiller une ancre du boffoir. Il y eut
dans desinftans jufqu’à quatre pouces de neige fur notre
pont, & le jour naiffant nous montra que toutes les terres
en étoient couvertes, excepté le plat pays dont l’humidité
empêche la neige de s’y conferver. Le thermomètre fut à
5 , 4, barifa même jufqu’à deux degrés au-defi'us de la
congellation. Le tems fut moins mauvais le 9 après-midi.
Les Pécherais s’étoient mis en chemin pour venir à bord.
Ils avoient même fait une grande toilette, c’eft-à-dire ,