couvre l’avant de la pirogue , & qui a cinq ou fix pieds de
faillie, l’empêche de fe plonger entièrement dans l’eau,
lorfque la mer eft groffe. Pour rendre ces légères barques
moins fûjettes à chavirer, ils mettent un balancier fur un
des côtés. Ce n’eft autre chofe qu’une piece de bois affez
longue, portée fur deux traverfes de quatre à cinq pieds
de long, dont l’autre bout eft amarré fur la pirogue. Lorf-
qu’elle eft à la voile, une planche s’étend en dehors de
l’autre côté du balancier. Son ufage eft pour y amarrer un
cordage qui foutient le mât, & de rendre la pirogue moins
volage, en plaçant au bout de la planche un homme ou un
poids.
Leur induftrie paroît davantage dans le moyen dont ils
ufent pour rendre ces bâtimens propres à les tranfporter
aux îles voifines, avec lefquelles ils communiquent, fans
avoir dans cette navigation d’autres guides que les étoiles.
Ils lient enfemble deux grandes pirogues côté à côté, à quatre
pieds environ de diftance, par le moyen de quelques
traverfes fortement amarrées fur les deux bords. Par- defîus
l’arriere de ces deux bâtimens ainfl joints, ils pofent un
pavillon d’une charpente très-légere, couvert par un toit
de rofeaux. Cette chambre les met à l’abri de la pluie &
du foleil, & leur fournit en même tems un lieu propre à
tenir leurs provifions feches. Ces doubles pirogues font
capables de contenir un grand nombre de perfonnes, &
ne rifquent jamais de chavirer. Ce font celles dont nous
avons toujours vû les chefs fe fervir ; elles vont ainfi que
les pirogues ftmples à la rame & à la voile : les voiles font
compofées de nattes étendues fur un quarré de rofeaux,
dont un des angles eft arrondi.
Les Taitiens n’ont d’autre outil pour tous ces ouvrages,
qu’une herminette, dont le tranchant eft fait avec une
pierre noire très-dure. Elle eft abfolument de la même forme
que celle de nos charpentiers, & ils s’en fervent avec
beaucoup d’adreffe. Ils emploient, pour percer les bois,
des morceaux de coquilles fort aigus.
La fabrique des étoffes fingulieres , qui eompofent leurs
vêtemens, n’eft pas le moindre de leurs arts. Elles font
tiffues avec lecoTce d’un arbufte que tous les habitans cultivent
autour de leurs maifons. Un morceau de bois dur,
équarri & rayé fur lès quatre faces par des traits de différentes
groffèurs, leur fert à battre cette écorce fur une
planche très-unie. Ils y jettent un peu d’eau en la battant,
& ils parviennent ainfi à former une étoffe très-égale &
très-fine, de la nature du papier, mais beaucoup plus fou-
pie , & moins fujette à être déchirée. Ils lui donnent une
grande largeur. Ils en ont de plufieursfortes, -plus ou moins
épaiffès , mais toutes fabriquées avec la même matière ;
j’ignore la méthode dont ils fe fervent pour les teindre.
Je terminerai ce chapitre en me juftifiant, car ou m’oblige
à me fervir de ce terme, en me juftifiant, dis-je ,
d’avoir profité de la bonne volonté d’Aotourou pour lui
faire faire un voyage qu’affurément il ne croyoit pas devoir
être auffi long, & en rendant compte des connoiflan-
ees qu’il m’a données fur fon pays pendant le féjour qu’il
a fait avec môi.
Le zele de -cet infulaire pour nous fuivre n’a pas été
équivoque. -Dès les premiers jours de notre arrivée à Taiti
il nous f a m-anifefté de la maniéré- la plus expreffive, &
fa nation parut applaudir à fon projet. ‘Forcés de parcourir
une mer inconnue , & certainsdene devoir déformais
qu’à l’humanité des.peuples que nous allions découvrir,
Leurs étoffes;
Détail fur le
Taitien amené
en France.
Raifons pour
lefquelles cm
l’a amené.