Matelot piqué
par un
ferpent d’eau.
queue fort longue. On m’apporta auffi un animal qui nous
parut extraordinaire. C ’eft un infeâe d’environ trois pouces
de long, de la famille des mantes ; prefque toutes les
parties de fon corps font compofées d’un tiffu, que même
en y regardant de près, on prendroit pour des feuilles;
chacune, de fes ailes eft la moitié d’une feuille , laquelle
eft entière, quand les ailes font rapprochées ; le deffous
de fon corps eft une feuille d’une couleur plus morte que
le deffus. L ’animal a deux antenes & fix pattes, dont les
parties fupérieures font auffi des portions de feuilles. M.
de Commerçon a décrit cet infe&e particulier, & l’ayant
confervé dans de l’efprit-de-vin, je l’ai remis au cabinet
du Roi.
On trouvoit ici un grand nombre de coquilles dont
plufieurs fort belles. Les bâtures offroient des tréfors pour
la conchyologie. On récolta dans un même endroit dix
marteaux, efpece, dit-on, fort rare (1). Auffi le zele des
curieux étoit-il fort vif. Il fut rallenti par l’accident arrive
à un de nos matelots, lequel en échouant la ferme , fut piqué
dans l’eau par une efpece de ferpenr. L’effet du venin fe
manifefta une demi-heure après. Le matelot reffentit des
douleurs violentes dans tout le corps- L endroit de la
morfure qui étoit au côté gauche devint livide & enfla à
vue d’oeil. Quatre ou cinq fcarifications en tirèrent beaucoup
de fang déjà diffous. Auffitôt qu’on ceffoit de faire
promener par force le malade, les convulfions le pre-
noient. Il fouffrit horriblement pendant cinq ou fix heures.
Enfin la thériaque & l’eau de luffe qu’on lui avoir admi- 1
(1) Ils furent trouvés dans un anfe & que pour cette raifon on a nommée
de la grande île qui forme çettebaie, tut aux Marteaux.
niftrées
a u t o u r d u M o n d e . 281
niftrées dès la première demi-heure , provoquèrent une
fueur abondante & l’ont tiré d’affaire.
Cette aventure rendit tout le monde plus circonfpeét à
fe mettre dans l’eau. Notre Taitien fuivit avec curiofité le
malade pendant tout le traitement. Il nous fit entendre que
dans fon pays il y avoit le long de la côte des ferpens qui
mordoient les hommes à la mer , & que tous ceux qui
étoient mordus en mouroient. Ils ont une médecine, mais
je la crois fort peu avancée. Il fut émerveillé de voir le
matelot, quatre ou cinq jours après fon accident, revenir
au travail. Fort fouvent, en examinant les productions
de nos arts, & les moyens divers par lefquels ils augmentent
nos facultés & multiplient nos forces, cet infu-
laire tomboit dans l’admiration de ce qu’il voyoit & rou-
giffoit pour fon pays ; aouaou, Taiti, f i de Taiti, nous di-
foit-il avec douleur. Cependant il n’aimoit pas à marquer
qu’il fentoit notre fupériorité fur fa nation. On ne fçauroit
croire à quel point il eft haut. Nous avons remarqué qu’il
eft auffi fouple que fier; & ce cara&ere prouve qu’il vit
dans un pays où les rangs font inégaux, & quel eft celui
qu’il y tient.
Le 19 au foir nous fûmes enfin en état de partir; mais
il fembla que le tems ne fit qu’empirer : grand vent de
Sud, déluge de pluie, tonnere , grains en tourmente. La
mer étoit très-groffe dehors, & les oifeaux pécheurs fe
refugioient dans la baie. Le 22 nous reffentîmes vers
dix heures & demie du matin plufieurs fecouffes de
tremblement de terre. Elles furent très-fenfibles fur nos
vaiffeaux & durèrent environ deux minutes. Pendant ce
tems la mer hauffa & baiffa plufieurs fois de fuite, ce qui
effraya beaucoup ceux qui pêchaient fur les récifs, & leur
Tems affreux
qui nous per-
fécute.
Tremblement
de terre.