Grande vîfi-
te des infulai-
res.
ment goûter à aucuns de nos mets, pas même au pain;
quelques bananes & du betel, voilà quelle fut leur nourriture.
Ils ne furent pas fi religieux fur la boiffon. Le pratique
& fon pere burent largement de l’eau-de-vie, affuré's
fans doute que Mahomet n’avoit défendu que le vin.
Le 17 à cinq heures du matin, nous fûmes fous voiles.
Le vent étoit debout, foible d’abord, enfuite affez frais, &
nous reliâmes fur les bords. Des les premiers rayons du
jour, nous vîmes déboucher de toutes parts un effaim de
pirogues, les navires en furent bientôt environnés,& le
commerce s’établit.Tout le monde s’en trouva bien.LesIn-
diens tirèrent affurément avec nous meilleur parti de leurs
denrées qu’ils n’euffent fait avec les Hollandois ; mais ils
s’en défaifoient toujours à vil prix, & les matelots purent
tous fe munir de poules, d’oeufs & de fruits. On ne voyoit
que volaille fur les deux vaiffeaux, tout en étoit garni juf-
qu’aux hunes. Je confeille toutefois à ceux qui revien-
droient ici, de faire emplette, s’ils le peuvent, de la
monnoie dont les Hollandois fe fervent dans les Moluques,
fur-tout de ces pièces argentées qui valent deux fols &
demi. Comme les Indiens ne connoiffoient pas les mon-
noies que nous avions, ils ne donnoient aucune valeur ni
aux réaux d’Efpagne, ni à nos pièces de douze & de vingt-
quatre fols : fort fouvent même ils ne vouloient pas les
prendre.Ceux-ci débitèrent auffi quelques cotonnades plus
fines & plus jolies que celles que nous avions encore vues,
& une énorme quantité de catakois & de perruches du
plus beau plumage.
Vers neuf heures du matin, nous eûmes la vifite de
cinq orencaies de Button. Ils vinrent dans un canot fembla-
ble à ceux çles Européens, à cette différence près qu’on
le voguoitavec des pagayes au lieu d’avirons.Ils portoient
à pouppe un grand pavillon Hollandois. Ces orencaies
font bien vêtus. Ils ont des culottes longues, des camifoles
avec des boutons de métal & des turbans, tandis que les
autres Indiens font nuds. Ils avoient auffi la marque diftin-
étive que leur donne la compagnie, qui eft la canne à
pomme d’argent, avec cette marque Xfd. Le plus âgé
avoit au-deffus une M de la façon fuivante itya*.' Ils ve-
noient, dirent - ils, fe ranger à l’obéiffance de la compagnie,
& quand ils fçurent que nous étions François, ils ne
furent point déconcertés, & dirent que très - volontiers ils
offroient leurs hommages à la France. Ils accompagnèrent
leur compliment de bien venu du don d’un chevreuil.
Je leur fis au nom du Roi un préfent d’étoffes de foie, qu’ils
partagèrent en cinq lots , & je leur appris à connoître le
pavillon de la nation. Je leurpropofai de la liqueur; c’étoit
ce qu’ils attendoient, & Mahomet leur permit d’en boire
à la profpérite du Souverain de Button, de la France, de
la compagnie de Hollande, & à notre heureux voyage.
Us m’offrirent alors tous les fecours qui pouvoient dépén-
dre d’eux, & ajoutèrent que, depuis trois ans, il avoit
paffé en divers tems trois vaiffeaux Anglois auxquels ils
avoient fourni eau, bois, volailles & fruits, qu’ils étoient
leurs amis, & qu’ils voyoient bien que nous le ferions
auffi. Dans ce moment leurs verres étoient pleins , & ils
avoient déjà plufieurs fois vuidé rafade. Au refte, ils me
prévinrent que le Roi de Button réfidoit dans ce canton,
& j e vis bien qu’ils avoient les moeurs de la capitale. Us
l’appellent Sultan, nom qu’ils ont fans doute reçu des Arabes
en même tems que leur religion. Ce Sultan eff defpote
&puiffant, fi le nombre des fujets fait la puiflance ; car