Dangers multipliés
que
nous courons.
viron à quinze lieues de diftance. Les jours fuivans furent
affreux : tout fut contre nous ; le vent conftamment de
l’Eft-Sud-Eft au Sud-Eft très-grand frais, de la pluie, une
brume fi épaiffe que nous étions forcés de tirer des coups
de canon pour nous conferver avec l’Etoile qui contenoit
encore une partie de nos vivres, enfin une mer très-groffe
qui nous affaloit fur la côte. A peine nous foutenions-nous
en louvoyant, forcés de virer vent arriéré, & ne pouvant
faire que très-peu de voiles. Nous courions ainfi nos bords
à tâtons au milieu d’une mer femée d’écueils, étant obligés
de fermer les yeux fur tous les indices des dangers. La
nuit du 11 au 12, fept ou huit de ces poiffons qu’on nomme
cornets, poiffons qui fe tiennent toujours fur le fond,
fauterent fur les paffavans. Il vint auffi fur le gaillard d’avant
du fable & des goémons de fond que les vagues y
dépofoient en le couvrant. Je ne voulus pas faire fonder ;
la certitude du péril ne l’eût pas diminué , & il étoit le
même quelque autre parti que nous euffions pris. Au refie
nous devons notre falut à la connoiffance que nous eûmes
delà terre le 10 au matin, immédiatement avant cette
fuite de gros tems & de brume. En effet les vents étant
de l’Eft-Sud-Eft au Sud-Efl, j’aurois penfé qu’en gouvernant
au Nord-Efl, c’eût été un excès de prudence accordé
à l’obfcurité du tems. Toutefois cette route nous met-
toit dans le rifque évident de nous perdrepuifque nous
avions la terre jufque dans l’Efl-Sud-Efl.
Le tems fe remit au beau le ï 6 , le vent demeurant
également contraire, mais au-moins le jour nous étoit
rendu. A fix heures du matin nous vîmes la terre depuis
le Nord jufqu’au Nord-Eft-quart-Eft du compas, & nous
.louvoyâmes pour la doubler. Le 17 au matin nous ne vrmes
point de terreau lever du foleil; mais à neuf heures
& demie nous apperçûmes une petite île dans le Nord-
Nord-Efl du compas à cinq ou fix lieues de diftance, &
une autre terre dans le Nord-Nord-Oueft environ à neuf
lieues. Peu après nous découvrîmes dansîNord-Eft-j^-Eft
à quatre ou cinq lieues une autre petire île que fa reffem-
blance avec Oueflïmt nous fit appeller du même nom.
Nous continuions notre bordée au Nord-Eft-quart-Eft ef-
pérant doubler toutes les terres, lorfqu’à onze heures on
en découvrit une nouvelle dans l’Eft-Nord-Eft-5d-Nord
& des brifans dans l’Eft-Nord-Eft, qui paroiffoient venir
joindre Oueflant. Dans le Nord - Oueft de cet îlot on
voyoit une autre chaîne de brifans qui s’allongeoit à une
demi-lieue. La première île nous fembloit être auffi entre
deux chaînes de brifans.
Tous les navigateurs qui font venus dans ces parages,
avoient toujours redouté de tomber dans le Sud de la nouvelle
Guinée, & d’y trouver un golfe correfpondant à celui
de la Carpantarie , d’où il leur fut enfuite difficile de fe
relever. En conféquence ils ont tous gagné de bonne
heure la latitude de la nouvelle Bretagne, fur laquelle ils
alloient atterrir. Tous ont fuivi les mêmes traces $ nous
en ouvrions de nouvelles , & il falloit payer l’honneur
d’une première découverte. Malheureufement le plus
cruel de nos ennemis étoit à bord, la faim. Je fus obligé
de faire une réduêlion confidérable fur la ration de pain
& de légumes. Il fallut auffi défendre de manger le cuir
dont on enveloppe les vergues & les autres vieux cuirs,
cet aliment pouvant donner de funeftes indigeftions. Il
nous reftoit une chevre, compagne fidele de nos aventures
depuis notre fortie des îles Malouines où nous 1 aauxEqxuteréllmesi
tés
nous fommes
réduits.