Danger caché.
Perte du maître
d’équipage.
bouché, que je crbis très-beau pour fe tirer de cette chaîne
éternelle d’îles.
Nous eûmes dans cette matinée deux alertes confécuti-
ves. La première fois on cria d’enhaut qu’on voyoit devant
nous une longue fuite de brifans, & l’on prit auffi-
tôt les amures à l’autre bord. Ces brifans examinés en-
fuite plus attentivement, fe trouvèrent être des raz d’une
marée violente, & nous reprîmes notre route. Une heure
après plufieurs perfonnes crièrent du gaillard d’avant qu’on
voyoit le fond fous nous $ l’affaire preffoit, mais l’alarme
fut heureufement auffî courte qu’elle avoit été vive. Nous
l’euffions même cru fauffe, fi l’Etoile, qui étoit dans nos
eaux, n’eût apperçu ce même haut fond pendant près de
deux minutes. Il lui parut un banc de corail. PrefqueNord
& Sud de ce banc, qui peut avoir encore moins deau
dans quelque partie, il y a une ance de fable fur laquelle
font conftruites quelques cafés environnées de cocotiers.
La remarque peut d’autant plus fervir de point de recon-
noiffance, que jufques-là nous n’avons vu aucunes traces
d’habitations fur cette côte. A une heure après midi nous
doublâmes la pointe du Nord-Eft de la grande île, qui
s’étend enfuite fur l’O u e ft& l’Oueff-quart-Sud-Oueft,
près de vingt lieues. Il fallut ferrer le vent pour la prolonger,
& nous ne tardâmes pas à appercevoir d’autres îles
dans l’Oueft & l’Oueft - quart - Nord - Oueft. On en vit
même une au foleil couchant qui fut relevée dans leNord-
Eft-quart-Nord, à laquelle fe joignoit une bâture qui parut
s’étendre jufqu’au Nord-quart-Nord-Oueft : ainfi nous
étions encore une fois enclavés.
Nous perdîmes dans cette journée notre prefnier Maître
d’équipage nommé Denys, qui mourut du fcorbut. lî
étoit Malouin & âgé d’environ cinquante anspaffés pref-
que tous au fervice du Roi. Les fentimens d honneur & les
connoiffances qui le diftinguoient dans fon état important,
nous l’ont fait regretter univerfellement. Quarante - cinq
autres perfonnes étoient atteintes du fcorbut ; la limonade
& le vin en fufpendoient feuls les funeftes progrès.
Nous paflames la nuit fur les bords, & le 25 au lever
du jour nous nous trouvâmes environnés de terres. Il s’of-
froit à nous trois paflages, l’un ouvert au Sud - O ueft, le
fécond à Oueft-Sud-Oueft, & le troifieme prefque Eft &
Oueft. Le vent ne nous accordoit que ce dernier, & je
n’en voulois point. Je ne doutois pas que nous ne fuffions
au milieu des îles des Papous. Il falloit éviter de tomber
plus loin dans le Nord, de crainte, comme je l’ai déjà dit,
de nous enfoncer dans quelqu’un des golfes de la cote
orientale de Gilolo. L’eflentiel, pour fortir de ces parages
critiques, étoit donc de nous élever en latitude auftrale ; or
au-delà du paffage duSud-Oueft, on appercevoit dans le
Sud la mer ouverte autant que la vue pouvoir s etendre:
ainfi je me décidai à louvoyer pour gagner ce débouché.
Toutes ces îles & îlots qui nous enfermoient font fort efcar-
pées, de hauteur médiocre, & couvertes d’arbres. Nous
n’y avons apperçu aucun indice qu’elles foient habitées.
A onze heures du matin, nous eûmes fond de fable fur
4« braffes ; c’étoit une reffource. A midi, nous obferva-
mes ood 5' de latitude boréale, ainfi nous venions de paf-
fer la ligne pour la quatrième fois. A fix heures du foir,
nous étions à même de donner dans le paffage du Oueft-
Sud-Oueft. C’étoit avoir gagné environ trois lieues par le
travail de la journée entière. La nuit nous fut plus favorable
, grâces à la lune dont la lumière nous permit de lou-
P p ij
Navigation
embarraffante.
Paffage de la
ligne pour la
quatrième
fois.