diculaires à l’axe de la rivière et portant à 1,700 mètres le développement total
des ramifications souterraines. Ainsi le cavernement du plateau de Camprieu a
près de 2 kilomètres d’extension.
En l’état actuel, la visite complète de ces grottes de part en part, telle que je
l’ai effectuée, doit être considérée comme pratiquement impossible. Une simple
échelle de 5 à 6 mètres suffit, il est vrai, pour descendre facilement à la salle du
Carrefour et gagner ensuite sans peine les abords de la cascade du Bain de Siège
par les Fourches ; mais de là il faudrait établir, pour rendre accessible la sortie
par l’alcôve de Bramabiau, une passerelle en fer de 400 mètres de longueur,
ainsi qu’aux klammen des Alpes, Rien ne serait alors plus extraordinaire ni plus
aisé que cette promenade d’outre .en outre. Si coûteux que doivent être ces
travaux, il est certain qu’on les exécutera quelque jour, quand la vogue des
Causses sera devenue asssez grande pour les rendre rémunérateurs, car nul aménagement
ne sera plus propre à contenter la curiosité des visiteurs. Toutefois,
avant de les entreprendre, il faudra étudier soigneusement le régime des crues
du Bonheur, dont le niveau varie constamment dans les galeries ; la hauteur de
la passerelle devra être calculée comme elle l’a été pour le F ie r1. Jamais d’aiileurs,
pour ouvrir au public cette nouvelle merveille des Cévennes, on ne dépenserait
les 20,000 francs consacrés en 1873 aux gorges de la Diosaz! Puisse le Dieu des
touristes attirer sur Bramabiau l’attention d’un entreprenant Mécène!
Tout en laissant de côté, pour le moment, les considérations géologiques, qui
trouveront leur place à la fin de ce volume, il importe de faire remarquer que
l’enfouissement du Bonheur s’est produit à une époque relativement récente.
En effet, sur la portion du plateau de Camprieu, large d’environ 400 mètres, qui
s’étend de l’entrée du tunnel supérieur (sud-est) à la vallée de Saint-Sauveur
(nord-ouest), on distingue encore très nettement les rives de deux anciens lits du
Bonheur. Le plus oriental de ces deux lits se précipitait jadis dans la vallée par une
cascade de 80 mètres de hauteur. Le deuxième lit, situé environ ISO mètres plus
à l'ouest, et dont les berges abruptes, hautes de 10 à 23 mètres, sont parfaitement
conservées, parait s’être subdivisé lui-même en deux cascades de 80 à 90 mètres
de chute, l ’une, au nord, tombant’dans la vallée ; l’autre, à l’ouest, s’écroulant
dans l’alcôve. Celle-ci présentait en outre la singulière particularité de traverser,
en deçà de sa chute et comme le courant actuel, un tunnel naturel de 40 mètres
de longueur, qui porte sur le plan cadastral le nom caractéristique de la Beaume ;
ce tunnel, semblable à son voisin, à la longueur près, est presque obstrué du
côté de l’alcôve par un éboulement; on peut le franchir aisément, néanmoins,
pour jouir du saisissant coup de théâtre présenté immédiatement au bout de
la Beaume et au bord d’un précipice de 300 pieds par l’alcôve et la source de
Bramabiau. Il est certain que le Bonheur, trouant une première fois sa digue do
calcaire, passait sous ce portail grandiose avant de s’écrouler dans le gouffre. Le
ruisseau en est donc à son quatrième déversoir, et la conservation parfaite des
trois autres démontre que géologiquement l ’enfouissement ne remonte pas à un
âge très reculé, manière de voir confirmée par l ’étroitesse des galeries souterraines,
que l’érosion n ’a pas encore eu le temps d’élargir en cavernes spacieuses.
1. Au commencement de septembre 1888, les eaux étant très basses, M. Marcellin Pellet a exécute sans
trop de peine la deuxième traversée de Bramabiau ; au .contraire, le 26 juin 1889, j ’ai trouvé les quatre fissures
-de la grotte de 60 mètres (perte 2 a 5) entièrement remplie's par les bras du torrent très gonflé ; toute'
descente eût été alors impossible. ,
Aujourd’hui le chemin forestier qui mène de Camprieu au fond de F alcôve-
coupe ou côtoie les deux premières cascades (déversoirs du fond de la vallée), et
des champs de blé occupent le large creux du deuxième lit jusqu’à l’entrée de
la Beaume. Que.l est l’âge relatif des trois anciennes chutes d’eau? On ne peut
répondre à cette question d’une manière certaine ; il est cependant probable qu’en
raison du travail de perforation qu’il a dû exécutèr le déversoir de la Beaume
était le plus jeune.
De tout l’ensemble on peut à bon droit conclure que nulle p a rt les eaux courantes.
n’ont exécuté un travail plus singulier que cette substitution d’une rivière
souterraine à trois puissantes cataractes aériennes.
. C’est en hiver qu’il faudrait voir l’alcôve de Bramabiau, alors que la glace bleue
ou blanche forme pont épais au-dessus de la source effroyablement grossie,
girandoles tremblantes sous la voûte de la fissure, franges et draperies rigides
après les encorbellements des parois, fines aiguillettes sur les saillies de pierre,
guirlandes nacrées le long des corniches rocheuses, et qu’un pâle rayon de soleil,
timide comme s’il se sentait incapable encore de dissoudre cette frêle et riche
ornementation échafaudée par le froid, vient scintiller parmi les arabesques congelées
!
Et comme si l’ensemble n ’était pas encore assez fantastique, une tragédie
vient brocher sur le tout. En parlant des terreurs qu’inspirait l ’avènc du Balset,
j ’ai fait allusion à un suicide qui s’y serait accompli : or il n ’y avait, hélas! rien
de légendaire en ceci, et ce mystère s’est éclairci, comme celui de la rivière elle-
même. Le 7 février 1888, un habitant de Camprieu, le sieur Vidal, surnommé
la Tronche, disparut, sans qu’il fût possible de suivre ses traces : on avait seulement
des raisons de croire qu’il avait dû lui-même attenter à ses jours. Les
recherches les plus minutieuses n ’ayant pas laissé retrouver son corps, on se
persuada que les gouffres du Bonheur étaient devenus le tombeau volontaire de
l’infortuné, et que Bramabiau ne le rendrait jamais. Le 28 juin, jour de ma tra versée,
en essayant de reconnaître la première perte du Bonheur (celle située
aû milieu du grand tunnel, sur le côté droit), nous fûmes incommodés par une
odeur de décomposition émanée de ce trou : la hauteur des eaux empêcha de
pénétrer assez avant pour établir la provenance des émanations ; mais nous nous
demandâmes alors si nous n ’étions pas sur la piste du cadavre de la Tronche.
Deux mois après (le 3 septembre), aux basses eaux, une nouvelle recherche put
être poussée plus loin et amena la découverte des restes du suicidé, retenus, par
l’étroitesse de la fente, au point marqué sur le plan. Cette première perte du
Bonheur, qui est" décidément impénétrable, a reçu le nom de la Tronche, en
souvenir du drame qui s’y est joué.
Et ceci m’amène à formuler le voeu qu’aucune imprudence, aucune entreprise
de traversée imparfaitement préparée ne provoque d’accidents sous le plateau
de Camprieu avant que la passerelle indispensable ait été posée, dans-la partie
inférieure.
J ’en ai fini avec Bramabiau, dont tous les détails topographiques sont consignés
sur la planche ci-contre et comprenant ;f 1 ° la.ca rte d’ensemble au 13,000°;
2° le plan des galeries intérieures au 3,000°; 3° la coupe verticale de la rivière
souterraine au 7,300°, le tout dressé sur le terrain, à la boussole, au mètre et au
pas, avec le concours de mes aides et compagnons d’excursion, auxquels je dois
une bonne part du succès obtenu,