grondant toujours, le vent nous coupant la respiration, la Jonte grossissant dè
plus en plus le fracas de scs eaux gonflées, entrevues aux lueurs de la foudre,
tout en bas, au fond du gouffre.
Soudain, à 10 mètres au-dessus de nos tètes, quatre spectres dans un éclair : les
quatre arbres bien connus de la route do Ilures, au-dessus du roc de la Bouillère 1
Quelques pas encore, et nous aboutissions une fois de plus au précipice, où nous
étions décidés à tenter une dégringolade insensée; que fût-il advenu des ossements
d’ours et de nous-mêmes si nous avions manqué les quatre arbres, entrevus
par hasard ? Enfin nous la tenions sous nos pieds, cette côte de 300 mètres
de hauteur et de 3 kilomètres de longueur, si rude pour les voitures; mais
quelle route ! Un torrent furieux, une cascade entre les deux talus ; courant sans
rien voir sur la chaussée, ayant de 1 eau par-dessus les chevilles, nous distinguons
bientôt un point lumineux : c’est la vallée, c’est Meyrueis, où nous entrons
au pas gymnastique.
A 1 hôtel, devant un grand feu, ruisselants de pluie, inondant chaises et plancher...
Aux paquets d abord, la soupe et le séchage après!.. Joie et miracle :
l’emballage était solide et l’arrimage bien assuré dans les sacs et les filets : rien
de brisé ni de mouillé ; sur les tables s’étalent, superbes, les pièces de notre chasse
souterraine, intactes comme elles gisaient hier dans la grotte de Nabrigas, sous
plusieurs mètres de cailloux, de stalagmites et de limon! La classique bouteille de
vin bouché nous parut fameuse ce soir-là, et fut plus gaie encore que de coutume.
Une autre fois, au moment même où il fallait quitter la grotte 'pour atteindre
la route avant la nuit, nous mettons la main sur un gisement vierge. Quel
dommage d’abandonner la place! « Mais nous reviendrons demain. — Si nous
restions : on couchera dans la grotte, une fois la poche vidée.? V - Adopté. »
Un ouvrier se détache èt descend au bourg chercher un supplément de vin et de
vivres, avec des couvertures pour la nuit. Et la fouille reprend de plus belle, si
bien qu au bout de cinq heures, quand notre pourvoyeur nous rejoint au fond
de la caverne, nous 1 accueillons par un « DéjàJ » qui prouve que le temps né
paraît pas long aux chercheurs !
« Comment, déjà? » riposte le malheureux, abasourdi .par notre apostrophe";
mais il est 10 heures du soir; voici deux heures que je devrais être de retour,
deux heures que je suis perdu dans les rochers à chercher l’entrée de la grotte ;
j ’ai cru que je rie pourrais jamais la retrouver ; il fait un orage épouvantable ; je
suis trempe, j ai perdu ma lanterne, et le vent m’a emporté les couvertures ; j ’ai
cassé la dame-jeanne contenant quatre litres de vin ; voilà du pain et de la viande. »
Chacun a quitté son trou à celte déclaration terrible : la position était critique ;
mourant de soif, il nous restait un demi-litre d’abondance pour quatre. Au jour,
on pourra quérir de l ’eau à une fontaine, à dix minutes de la grotte ; mais pour
ce soir, dans l ’orage et l’obscurité, personne ne veut se risquer dehors. Après un
équitable partage du demi-litre, nous redescendons dans nos cavités respectives,
le travail seul pouvant dominer la situation. A 2 heures du matin, la poche
était vidée et avait fourni une moisson qui nous faisait oublier la soif.
Il s’agissait de dormir un peu : mais comment, sur la stalagmite épineuse et
humide, avec nos vêlements d’été ! Les innombrables aspérités du carbonate de
chaux, fines comme des aiguilles, sont pires qu’un lit de cailloux. Et puis, le
froid de cave de la grotte nous pénétrait, dans le repos, après l’agitation d u ’la-
beur ; nous nous rappelons qu’il y a une vieille porte de bergerie à l ’entrée de la
caverne : deux dévoués vont la chercher, la mettent en pièces, et voilà les voûtes
et parois de la grande salle dé Nabrigas qui étincellent aux lueurs d’un feu d’enfer.
Vite le sommeil nous a allongés en cercle autour du brasier. Mais à 6 heures
du matin, autre incident : un malaise étrange nous réveille. Nous commencions
bel et bien à suffoquer, enfumés comme des renards, et de nos propres mains!
Cette fois, fuyant l’asphyxie, nous levâmes le camp, avec armes, bagages et
butin; nous ne tenions pas à induire en erreur lés fouilleurs futurs, en leur faisant
prendre nos quatre personnes pour les restes de troglodytes antédiluviens..
C’eût été pousser un peu loin l’amour de la préhistoire. Dehors, l ’averse avait
cessé, et à travers les brouillards clairsemés, qui s’évanouissaient paresseusement,
le soleil levant mettait des perles d’arc-en-ciel à tous les brins d’herbe encore
lourds de gouttes de pluie.
Voilà comment la région des Causses offre toutes les variétés de sports : pêche
et chasse, équitation et marche à pied, découvertes géographiques et scientifiques.
N’a-t-on pas raison de dire que c’est un pays privilégié? Et, certes, les
fouilles dans les cavernes n ’en sont pas le moins curieux côté.
Mais laisons parler M. Jeanjean, le géologue et archéologue distingué de Saint-
Hippolyte (Gard) : - , . ,
« Les rochers abrupts situés à droite de la Jonte, en aval de Meyrueis, présentent,
outre la caverne de Nabrigas, plusieurs cavités... Arrivés à Sourbettes...
au pied des escarpements dolomitiques, mon guide me conduisit immédiatement
par un étroit sentier à la grotte obscure, dont l’ouvérture triangulaire est cachée
par des touffes de chênes blancs et d’arbustes épineux. A 6 mètres de l’entrée, on
voit une grande salle, à laquelle succède une vaste galerie un peu inclinée, dont
le sol est recouvert d’immenses rochers. Le fond de cette galerie communique,
par un étroit couloir perpendiculaire, avec une autre cavité décorée de stalactites
et où se trouvent aussi des rochers amoncelés. Je fis des recherches dans la
grande salle, près de l ’ouverture, où je rencontrai des restes de feu, des ossements
d’animaux vivant actuellement, et des poteries dont les unes appartiennent
à l’âge de la pierre polie, tandis que d’autres, de couleur rouge, ont été fabriquées
au tour et portent un vernis noir, comme les vases de l’époque gauloise.
La galerië qui fait suite à cette salle doit renfermer également des débris de l ’industrie
primitive, car j ’y ai rencontré l ’empreinte dans la stalagmite d’un vase
enlevé précédemment.
« Plus près de Meyrueis,-entre Sourbettes et le Capelan, se trouve la caverne de
Couderc,' appelée aussi grotte du Lac ou de la Cave, qui a été l’objet de travaux
considérables exécutés parM. Pou jo let les frères de Meyrueis. Cettegrotte, dont
l’ouverture a été murée en- partie, afin qu’elle pût servir de bergerie, présente
deux belles galeries, séparées par un passage fort étroit, de 5 mètres de longueur.
La terre noirâtre de la première galerie devait contenir avant les fouilles beaucoup
d’objets de notre industrie; je n ’y ai recueilli moi-même que des fragments
de poterie, la plupart de l’époque néolithique ; mais M. Poujol y a trouvé plusieurs
vases entiers, des os travaillés, une hache polie en chloromélanite, des polissoirs,
des pierres percées, ainsi que des objets de l’époque gallo-romaine, tels que
poteries, épingles et fibules en bronze. La seconde galerie, toujours fort humide,
présente près du fond une cavité peu profonde remplie d’eau; si l’on brise la
stalagmite aux environs de ce'petit lac, on trouve le diluvium bien caractérisé,
avec de nombreux ossements d’i/rsùs spelanis; j ’ai pu extraire ainsi, en très peu