mâtrisée par la chaleur, immobile sous l’air pesant et sans souffle, incrustant
chaque jo u r plus bas dans la pierre le glauque et gluant revêtement de mucus et
d’infusoires que développe l’évaporation diurne, tristes restes enfin de la dernière
colère de la Vis, qui a laissé ces flaques sans aliment en proie à l ’ardeur du soleil !
Bien étranges, ces étroits sans rivière ! Bien singulier, ce canon sans cours d'eau!-
Mais au delà d’un cap allongé, qui s’avance comme pour mieux ménager une
vive surprise, nous percevons un bruit confus : à chacun de nos pas il grandit.
On dirait un flot qui gronde. Allons-nous donc voir un vrai courant mouiller
réellement les cailloux du thalweg? ■— Parfaitement, nous touchons à la véritable
source de la Vis, celle où il y a de l ’eau, la fontaine de la Foux!
Voilà notre aphorisme expliqué.
Un gros moulin s’est emparé de la position : combien son tic tac, qui résonne encore
au pied des rocs verticaux, paraît joyeux après la muette solitude d’amont !
« Là, d’une gueule de caverne, une transparente rivière tombe en bruyante
cascade : 400 mètres, plus ou moins, c’est l’altitude de cette foux, c’est-à-dire de
cette source perdue dans une anfractuosité du Larzac, à 280 ou 300 mètres au-
dessous des créneaux de rebord. On conte qu’à la.suite d’éboulements dans les
couloirs où passe la rivière souterraine qui quitte l’ombre à la Foux, la fontaine
cessa de couler; mais, au hout de quelques heures de néant, la Vis, rêvomie,
roula des eaux rouges ; puis l ’onde redevint l ’honneur des "blanches Cévennes,
le frais et clair épanchement des ruisseaux caverneux de la grande oolithe: Ce
flot s’en va vers le nord-est, réfléchissant des moulins, des hameaux, des villages,
des arbres, et la pierre vive des monts de sa cassure, signalée de loin, quand on
vient de l ’est, par la noble pyramide Mu pic d’Anjau (868 m . ) ,» (O. R eclus.)
Cet énorme bouillon d’eau, produit du filtrage des calcaires du Larzac, apporte
au torrent un afflux de plus de 2 mètres cubes par seconde, qui le change subitement
en une belle rivière aux eaux pures et limpides. « La Vis n ’est pas une
rivière, c’est une fontaine, » me dit-on à Madières : c’est vrai, et c’est une des plus
belles fontaines que l’on puisse voir.
Au mois d’avril 1776, sans qu’on ait jamais pu expliquer pour quelle cause,
la source s’arrêta huit jours; privée de son apport, la Vis resta elle-mêrne. trois
jours sans donner une seule goutte d’eau à l ’Hérault, à la grande frayeur des
riverains. Puis l’onde reparut, aussi puissante qu’auparavant1.
«Si la fontaine est magnifique, le site qui sert de cadre à la source est grandiose :
à droite et à gauche se dressent les hautes murailles du Larzac avec leurs grottes,
leurs fouillis d’arbres; mais la parole est impuissante à côté de la réalité, et la
photographie ne dit pas mieux la beauté de ce tableau. » (A. L equeutre.)
Six kilomètres de marche et dix méandres nous séparent de Novacelle : sans
l’eau qui jase enfin à nos pieds et sans les meules qu’elle anime gaiement, ce
serait bien uniforme, cette promenade au fond de la Vis. Pourtant à droite
s’ouvre bientôt un bout du monde élargi, aussi soleilleux qu’escarpé, que forme
un ravin aux grèves arides, sous la cote 683 du Larzac : par un ciel bien bleu,
c’est un chef-d’oeuvre d’éclairage.
A Novacelle (320 m.), un accident géologique rompt heureusement la monotonie.
La rivière a scié à la racine une de ses plus grandes boucles, de 1,100 à
1,200 mètres de développement; et pour racheter la différence de niveau, elle se
1. M'ontet, Mém. de l’Acad. des sciences, année 1777, p. 660.
La Vis en aval de sa foux. — Phof. Chabanon.