envoyait dans l’autre monde ou les réservait, qui pour la geôle ou la galère, qui
pour le supplice, quand il lui arrivait de les surprendre dans leurs villages, gardés
du soleil par la forêt des châtaigniers séculaires.
« Pendant qu on les tuait et qu’ils tuaient, beaucoup de leurs frères échappant
aux dragons royaux, gagnèrent la frontière des nations protestantes. Par
dizaines, voire par centaines de milliers, ils secouèrent la poussière de leurs
pieds sur le sol qui les avait nourris.
« En Allemagne, en Prusse, en Hollande, en Angleterre, on les reçut à bras
ouverts, parce qu’ils étaient huguenots et parce qu’on savait qu’ils haïssaient
passionnément la France. Des centaines d’entre eux franchirent la grande
mer : les uns vers l’Afrique australe, où ils prirent leur demi-part à la création
du peuple des Boers, pasteurs de langue hollandaise ; les autres vers l'Amérique
du Sud, où ils furent les vrais fondateurs de la colonie de Surinam »
(U . R eclus.)
Le souvenir des paysans ou artisans, à peu près armés de leur seule exaltation
religieuse, qui, comme les Cavalier et les Rolland, conduisirent contre les
régiments du roi cette , curieuse lutte de guérillas, est demeuré vivant parmi les
populations actuelles ; les protestants, en effet, restent nombreux aujourd’hui
dans les Cevennes, car Villars même dut renoncer à la violence pour détruire
leur dogme, et, par diplomatie surtout, acquit l’honneur de pacifier la contrée
Les huguenots des Cévennes, déjà exaspérés par les trop célèbres dragonnades
ou missions bottees de Louvois, auxquelles, dès 1681, on avait donné le cruel mandat
d extirper par la force la foi protestante de toute la France, ne ratifièrent pas
la révocation de 1 édit de Nantes par Louis XIV en 1683 et ne se décidèrent pas
ÎÏÎ'IJ T ' exÇalria‘ion définitive en masse. Nicolas Lamoignon de Basville
(1648-1 724), alors intendant du Languedoc (1683-1718), tenta de les réduire par
la tyrannie : impôts écrasants, fermeture des temples, razzias militaires, ne réussi-
rent qu à donner aux opprimés l ’habitude des réunions clandestines au fond des
bois, derrière les rochers où s’observait le culte défendu. Dans ces solitudes
germa la révolté. L ’intendant lui-même, peut-être agent non responsable de l’in-
llexihihte de Louvois avait pour auxiliaire un prêtre fanatique, l’abbé François
Langlade du Chayla, inspecteur des missions des Cévennes, prieur de Laval
arcfiiprêtre et ancien missionnaire à Siam, qui transforma en prison saignante lé
presbytère-du Pont-de-Montvert, aux sources du Tarn. Martyrisant ses captifs
« tantôt il leur arrachait avec des pinces le poil de la barbe ou des sourcils tantôt
U leur mettait des charbons ardents dans les mains, qu’il fermait et pressait
ensuite avec violence jusqu’à ce que les charbons fussent éteints; souvent il leur
revêtait les doigts des deux mains avec du coton imbibé d’huile ou de graisse
qu i allumait ensuite et faisait brûler jusqu’à ce que les doigts fussent rongés
par la flamme jusqu’aux os. » (A. Court.)
Quinze ans couva la réaction, pour n ’éclater que plus terrible. Exaspérés par
tant de barbarie, cinquante hommes, dans la nuit du 24 au 23 juillet 1702 forcèrent,
en chantant un psaume, la porte du presbytère du Pont-de-Montvert -
d abord ils délivrèrent les prisonniers, puis s’emparèrent de l’abbé du Chayla 1¿-
massacrèrent et le pendirent. . ’
En vain de Basville redoubla de rigueurs : la guerre des Camisards était commencée.
On désigna les rebelles sous ce nom, parce qu’ils portaient sur leurs vêtements,
en signe de ralliement, une chemise ou blouse blanche-:(camisa) : leur nombre
dépassa 15,000. . .,.
De Basville il faut le reconnaître, comprit de suite toute 1 importance de 1 insurrection
; il fit voter par les états du Languedoc des subsides pour la construction
de vingt-deux chemins royaux (l’Estrade d’Ispagnacentre autres [V. p. 24J),
larges de quinze pieds, et un abonnement de 1,400 livres par an pour leur entretien
En 'outre, il organisa cinquante-deux régiments de milice catholique Enfin
par ses: soins furent construites des citadelles à Nîmes, Alais, etc., et des redoutes
sur plusieurs points de la montagne. 9
Dans ces pays difficiles d’accès, et contre les armées du roi, il fallait aux Cami-
sards des chefs intelligents, qui ne manquèrent pas, quoique paysans : un boulanger,
Jean Cavalier; trois bergers, Rolland, Ravenel, Catmat; un cardeur de,
laine, Salomon; d’anciens soldats, Laporte, Jeany, Castanet, etc.
De son vrai nom, Catinat s’appelait Abdias. Morel ou Maurel ; il devait son
surnom à l’admiration qu’il avait professée jadis pour le célèbre maréchal, en
servant sous ses ordres. Robuste, féroce, très brave, mais sans initiative, il ne
fut que le lieutenant de Cavalier. .
Celui-ci, âme de l’insurrection, naquit en 1680 à Ribaute, près d Anduze ; a
vingt et un ans, des démêlés avec le curé de sa paroisse le contraignirent de
chercher un refuge à Genève. Ce fait déjà attirait sur lui l’attèniion de ses coreligionnaires,
qui le rappelèrent en 1702. De suite il fut libérateur désigné. Après
la mort de l’abbé de Chayla, il mit en pièces les troupes catholiques qui le traquaient
: de coups de main en victoires, il s’éleva au rang de chef suprême des
Camisards, à l’âge de vingt-trois ans, aidé aussi « par une prophétesse, la grande
Marie qui le fit reconnaître sur un ordre exprès du Saint-Esprit... Quand on
désobéissait à-Cavalier, la prophétesse était sur-le-champ inspirée et qomlam-
nait à mort les réfractaires, qu’on tuait sans raisonner. » (-Voltaire, Siecle de
Louis X IV , chap. xxxvi.) V ,
Laporte, forgeron au Collet-de-Dèze, -commença par empecher, grâce à une
mâle harangué, l’émigration d’un groupe de protestants découragés. Tous ses
auditeurs lui répliquèrent d’un mot : « Sois notre chef. » Ainsi Laporte^ fut tait
colonel des Enfants de Dieu. En octobre 1702, uneballë l ’atteignit mortellement.
Rolland, son neveu, né en 1675, lui succéda.
Les Camisards noirs n ’étaient que des brigands commandes par un bou
cher d’Uzès et qui, dans leurs expéditions, se barbouillaient la figure avec de
la suie : comme ils avaient assassiné traîtreusement une jeune femme catholique,
Mm° de Miramon, Cavalier lui-mème fit arrêter et fusiller les meurtriers.
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Fléchier, Montrevel et le pape Clément XI organisèrent, pour les opposer aux
Camisards noirs, des bandes de Camisards blancs ou Cadets de la Croix, qui, eux
aussi, ne surent que piller et exterminer. Il fallut les réduire à leur tour.
L’exaltation religieuse et l’amour du sol natal faisaient un héros de chaque
véritable Camisard. Liberté de conscience et plus d’impôts, tel fut le cri de ralliement
de ce nouveau peuple de Dieu ou troupeau de l’Eternel, comme ils s appelaient
eux-mêmes. . i
Plusieurs eurent des visions, se crurent inspirés, se dirent prophètes ; tel
l’homme de Codognan, qui, dès 1686, avait entendu une voix d’en haut Va
consoler mon peuple. » Cavalier lui-même prophétisait et prêchait à la fois.