Baumes-Hautes et des Baumes-Basses et qui forme la paroi occidentale du grand
cirque. L’entrée est donc à 370 mètres au-dessus du Tarn et à 100 mètres au-
dessous du niveau moyen du causse de Sauveterre, juste sous la cote 861.
En 1888, au cours de mes recherches souterraines sur l’hydrologie intérieure
des Causses, j ’ai exploré à fond la grotte des Baumes-Chaudes, dont on ne. connaissait
pas l’extrémité.
Cette grotte se compose de deux parties distinctes : 1° une suite d’abris sous
roches, peu profonds et bien ensoleillés, on ne peut mieux disposés pour servir
d’habitations aux hommes de la pierre polie, et d’où pendant dix années consécutives
les fouilles Prunières ont extrait la plus riche et variée collection d’ossements
et d’objets néolithiques ; 2° la partie souterraine proprement dite, dont
un tiers à peine avait été parcouru avant mes investigations.
Les abris sous roches comprennent en réalité trois grottes ouvertes sur une
même terrasse du causse : celle du milieu forme un véritable tunnel ouvert à
ses deux extrémités, et les deux autres la prolongent au nord et au sud. La
grotte du sud a environ 48 mètres de longueur, le tunnel 25, et la grotte du nord
35 : au fond de celle-ci est l’entrée des vrais so u terrain s1.
Il n ’y a point dans les cavités secrètes des Baumes-Chaudes de ces grands
dômes étincelants ni de ces clochetons cristallisés si chers aux visiteurs : mais
la disposition de la grotte est unique en son genre et d’un intérêt capital au
point de vue géologique. Elle ne se recommande donc pas aux touristes, simples
curieux; elle mérite seulement toute l’attention des savants. En effet, les
Baumes-Chaudes intérieures sont constituées en fait par neuf puits verticaux
profonds de 8 à 30 mètres, larges de 1 à 12 mètres, superposés en trois étages,
reliés par quatre galeries horizontales qui se surmontent ou s’entre-croisent
dans l’épaisseur de la montagne et terminés par ira petit lac.
Toute autre explication est superflue, la coupe et le plan ci-contre faisant
mieux que la plume comprendre ce singulier découpage du causse. L e _développement
total des deux parties des Baumes-Chaudes (abris et souterrains)
atteint 900 mètres de longueur; la profondeur verticale de la grotte, 90 mètres
(niveau du lac). Intérieurement, le docteur Prunières et ses ouvriers n ’avaient
vu que les galeries n° 1 et n “ 2 bis, et l'un d’eux s’était fait descendre, à l’aide
d’un treuil échafaudé, au fond Hu puits de l’Èchafaudac/e, creux de 30 mètres
(18), sans pousser au delà du rocher du Pont (17), qui le sépare du reste de
la grotte ; à cause de la difficulté du parcours, des ouvertures à élargir, et des
longues manoeuvres de rappel de cordes et d’échelles^ nous occupâmes deux
jours entiers à découvrir le couloir et la salle sans nom et sans intérêt greffés
su r le flanc ouest de la galerie n° 1, — les trois petits puits, les galeries
n° 2 (dissimulée par une cloison stalagmitique) et n° 3,;(— et les cinq puits de
la Colonne (15), du Pont (16); de la Cheminée.(19), de l’Avenc (20) et du Lac
(21). — Je me suis fait descendre dans. le puits, du Lac (profond de 30 m.jj,'
à califourchon sur une forte branche et attaché à des cordes que retenaient
cinq hommes; cet exercice est resté un de mes plus impressionnants souvenirs
1. De 1875 à 1877 les fouilles, commencèrent par la partie supérieure des souterrains ; pendant l’hiver de
1877-78 on découvrit, dans là grotte du sud, un ossuaire qui donna 300 squelettes ; ensuite on .vida le tunnel
et enfin la caverne du nord. Une seconde série de recherches dans le puits dé l’Échafaudage (que le docteur
Prunières appelle les Enfers) fournit, entre autres choses curieuses, deux squelettes de petits enfants. Les
crânes, perforés et-les ossements portant traces .de blessures faites avec des flèches en silex sont les plus
précieuses pièces recueillies aux Baumes-Chaudes. (F. chap. XXVI.)] '
de voyage1. Se sentir suspendu dans l’éspace noir, sans notion de la profondeur
réelle, au-dessus d’une nappe, d ’eau trahie p a r le je t d’une grosse p ie rre ; descendre
en oscillant d’une paroi à l’autre, la main gauche à la corde et la droite
parant les chocs; abandonner une, spirale de magnésium enflammé qui tombe
lentement et substitue pour trois secondes le plus éclatant jo u r aux plus épaisses
ténèbres; distinguer fugitivement le reflet lumineux qui miroite sur l’eau; descendre
encore, pendule animé qu’attire la pesanteur; je te r en l’air ce, cri
humain : « Tenez ferme; au moins ! » et presque aussitôt : « Halte 1 » effleurer
des doigts la surface d’un
bassin où jamais barque ne
viendra flotter ; chercher en
vain au pourtour de ce bassin
une margelle de repôs ; au
bout de la rude escarpolette
dé 30 mètres de hautèur, se
balancer longuement entre
des, bords absolument lisses,
perpendiculaires et fermés ;
puis, enfoui vivant sur l ’eau,
dans le vide et dans la nuit,
se laisser, au sein de cette
étrangeté su p rêm e , envahir
par une mélancolique rêverie
; se résoudre au retour
et commander O hisse! »
alors seulement se rendre
compte des violents efforts
auxquels se livrent là-haut les
cinq camarades chargés du
poids d’une vie ; entendre les
cordes grincer et gémir contre
le rocher qu’elles rabotent;
sentir le mouvement ascensionnel
s’interrompre tous les
demi-mètres pour que les
haleurs retrouvent leur souffle
après chaque brassée ; imaginer,
Descente du puits du Lac. — Dessin de Vuillier,
d’après un croquis de Th. Rivière.
( Communiqué par le Club alpin.)
comme en un mauvais rêve, la chute possible et l'ensevelissement dans-
la tombe liquide toujours ouverte et refermée ; à ce moment même ouïr plus
proches et plus distinctes les voix qui s’encouragent à la manoeuvre et qui dissipent
le cauchemar ; saisir enfin les mains amies fiévreusement tendues à la
bouche du gouffre, n’y a-t-il pas là une suite de sensations pénétrantes bien
propre à satisfaire les plus aventureux esprits?
1. Dans son premier mémoire de 1878, le docteur Prunières' décrivait ainsi le puits de l’Échafaudage^
(les Enfers) : « Un vaste puits terminal, dont la profondeur n’a pu encore être mesurée, et dont le fond,
plein d’eau, n’est peut-être pas très élevé au-dessus du niveau de la rivière... Un poids attaché à une corde
de 60 mètres de longueur, n’a pu atteindre, le-fond.» (!■!)■—Peu après (été 1878), un de ses ouvriers y descendit,
toucha et fouilla le bas (30 m.). Nous avons en 1888 (5 et 6 juillet) retrouvé les poutres, mais pas l’eau
qui a vraisemblablement arrêté l’explorateur de 1878 avant le pont.