Il y a peu à signaler et encore moins à décrire sur ce parcours. Après la
Parade (32 hab. aggL); entourée de dolmens, le plateau se déprime, les bois apparaissent
blottis dans les creux; Carnac est au milieu des cultures ; ce n ’est plus le
désert, qui n ’existe réellemênt que dans l'est, le centre et le sud-est du causse.'
La descente à Sainte-Enimie n ’est point si pittoresque que celle du causse
de Sauveterre par l’estrade d’Ispagnac ou le ravin du Bac ; moins raide .que
toutes ses voisines, la nouvelle route .est plus longue et ne sè tord pas en lacets
du baut en bas d’un mur. C’est ce que fait, en revanche, le passable chemin de
chars qui dévale abruptement sur l’oasis de Saint-Cbély, et cette tombée dans
le canon en face de Pougnadoires, aux flancs d’un ravin très raide, est certes une
des plus grandes surprises de tout le pays des Causses. Du premier coude du
chemin, le Tarn, à 400 mètres de profondeur, n ’est qu’à 200 mètres de distance
à vol d’oiseau, tant est escarpée la paroi où l’on se trouve accroché !
Avant de quitter le causse, il y a une pointe à faire jusqu’au Mas-Saint-Chély.
En escaladant les mamelons qui le dominent, on voit les abîmes du Tarn en
amont et en aval, ainsi que les hautes Cévennes. Les géologues rencontrent là des
fissures où se sont épanchées des coulées de bauxite et des filons do minerais de
fer et de manganèse(limonite et acerdèse), décrites par M. Fabre. ( V. chap. XXII.)
Les environs du Mas-Saint-Chély, autrefois boisés e t peuplés, sont aussi riches
en dolmens, tumuli et débris de constructions romaines. C’est e n c e t endroit que
fut, en 1874, sur la crête de Rivalle et à la suite de la trombe du 29 juillet,
trouvé p a rle sieur Fages, occupé à labourer son champ, un trésor de l’âge du
bronze dont les pièces, aussi rares que belles, ornent le musée de Mende1. Il
faut signaler aux archéologues, dans la petite église du Mas, une cloche portant
la date de 1362; elle provient de l ’antique chapelle des Saints-Côme-et-
Damien, dont quelques restes subsistent sur le penchant oriental du truc de
Saint-Côme ou des Tourels (1,028 m.), entre le Mas et la route de Florac,
Comme, autour de ce truc, la charrue exhume souvent un fer de lance ou un
débris d’épée et des médailles, la tradition locale veut que les Romains (?) aient
livré une bataille dans la plaine de Carnac. L ’histoire ne nous dit rien à ce
propos; mais une enceinte en pierres sèches se voit encore au sommet du truc:,
ancien oppidum ou camp retranché d’origine inconnue. M. Germer-Durand y.a
trouvé un couteau de pierre et des morceaux de grossière poterie. D’après la
légende, des fées auraient, la nuit, entrepris d’élever là une ville enchantée;
surprises et dérangées par des paysans, elles disparurent, laissant leur oeuvre à
peine ébauchée.
La route de Saint-Préjet-du-Tarn (les Vignes) à Florac ne s’éloigne d’abord
pas beaucoup de la lisière septentrionale du causse Méjean. Aussi, quand on la
suit, peut-on, en plusieurs endroits, notamment autour de Rieisse et avant Carnac,
s’avancer jusqu’à la lèvre du canon pour plonger le regard dans la creuse vallée.
Cependant aucun cap du causse Méjean ne vaut le Point Sublime, et l’on ne saurait
conseiller de suivre son rebord de Sainte-Enimie au Rozier : il y a moins de
chemins battus encore que sur le causse d’en face; les ravins pénètrent plus
avant, et sont plus longs à contourner ou à franchir; les dénivellations, plus fréquentes,
accentuées et fatigantes; les prospects moins beaux enfin, parce que, la
courbe du Méjean formant la convexité du canon', tandis que celle du Sauveterre
1. Découverte d’objets en bronze dans la commune deSaint-Chély-du-Tarn, p a r F. André, archiviste : Bulletin.
en est la concavité, les promontoires de ce dernier commandent naturellement
une bien plus grande partie du cours de la rivière.
Après Carnac, la route pénètre dans la vraie désolation : au Mas-de-Val,,lcs
arbres disparaissent; on n ’en retrouve plus qu’un maigre bouquet, abritant la
Cavalcidette, métairie isolée, à main droite; derrière, au sud-est, s’étend, jusqu’au
col de Perjuret, la partie la plus élevée et la plus solitaire du causse Méjean, houleuse
surface de mamelons caillouteux sans une tache verte. Le paysage devient
sévère à force de laideur, grandiose à force de sévérité : dans les parties basses de
la route, entre les cirques fermés de couronnes nues qui interceptent tout l’horizon,
sans un homme ni une maison en vue, on éprouve une sorte d’oppression, de
peur presque, et l ’on hâte instinctivement l’allure.
Ou bien l’on gravit une couronne élevée, et le bien-être que causé alors l ’élargissement
de l’horizon fait trouver belle la vue du mont Lozère au nord-est et
de l’Aigouàl au sud. Il n ’a rien d’admirable pourtant, ce terne panorama :Téténdue
seule est son mérite : mais c’est assez pour le moment, puisque les ravinements
bleuâtres des Cévennes nous rappellent qu’à leur base, et pas bien loin, se retrouvent
les ruisseaux, les arbres, nos semblables, la vie enfin, dont l’absence sur le
silencieux plateau produit une si funèbre impression. -
Les monts du Bougés restent cachés par la pente du causse. La route de voi tures
continué à traverser des cuvettes creusées dans le sable du causse, à contourner
dès mamelons, à franchir les rides moins élevées: Çà et là se montrent quelques
misérables hameaux, dontles chaumières, roussies par le soleil, semblent blanches
sur ce sol jaunâtre et brûlé, où il n ’y a pas une source, pas une goutte d’eau. Ce
manque absolu d’eau devient à la longue une souffrance pour le voyageur.
On redescend : tout disparaît, et les longues lignes ondulées du causse se
détachent de nouveau sur le bleu du ciel.
Do mamelon en cuvette et de cuvette en mamelon, on arrive tout à coup sur la
lèvre du c.anon (1,050 m.). Sous nos pieds, à 1,200 mètres de distance à vol d’oiseau
et à 500 mètres de profondeur, s’ouvre béante la vallée du Tarnon, large,
plantée de bouquets d’arbres, de vignes, bordée de prairies, aux nombreux villages
épârs sur les pentes du Bouges, avec la ville ensoleillée de Florac, qui étale ses
maisons au bord de la rivière, tandis que, courant du nord au sud, se profile la
haute et sévère muraille du causse. C’est un émerveillement, une joie des yeux,
que ce tableau.
La route semble tomber dans le vide et rapidement atteint F l o r a ç .
De Meyrueis, il faut prendre l’ancienne route de Sainte-Enimie par le portique
de la Houillère pour ajler visiter le formidable avenc de Hures... Dans ce village
perdu par excellence (26 hab. aggl.), le premier étage des maisons, aux murs très
épais, est voûté de façon à supporter le poids des neiges et l’effort des tempêtes.
L’avenc, situé à quelques minutes à l’est, passait pour un des plus considérables
que l’on connût. Tout à coup, dans une ride du sol, s’ouvre une caverne large de
1 mètre à peine : on peut s’y avancer de 10 mètres jusqu’au bord d’un puits qui
perce le causse.
« Une pierre lancée dans le gouffre produit un bruit effroyable, qui peu à peu
s éloigne, sans que l’on puisse distinguer le moment d’arrêt. » (A . L e q u e u t r e .)
^ Les paysans croyaient que cet avenc communiquait avec la source de la Cénac
le ) à Saint-Chély. Légendes que tout : cela! Nous sommes descendus dans
1 abîme do Hures le 25 juin 1889 : au bout du couloir de 10 mètres il y a un pre