tout cela ? Nous répéterions le portrait des autres canons ; et puis, quels touristes
iraient donc -se rompre les jambes au bord de cette sauvage rivière, au
pied de ces pentes escarpées, parmi ces roches droites, ces éboulements inconsistants,
ces fourrés de verdure impénétrables? Le long du Puéchabon même,
dans la plus belle partie de la gorge imparcourue, il n ’y a, pendant 7 kilomètres,
ni une masure ni une apparence de sentier. — C’est superbe d’isolement !
Actuellement, c’est loin des rives de l’Hérault que deux routes fréquentées et
montueuses conduisent de Ganges à Aniane, au débouché du défilé de Saint-
Guilhem, à l ’entrée de la plaine basse, non loin de Clermont-l’Hérault et de
MoUrèze.
Et d abord celle de 1 ouest, celle du causse de la Selle, qui laisse le Buèges
invisible à sa droite.
Au delà du beau portail de la montagne de Thaurac, on entre dans le bassin de
Saint-Bauzille (1,884 hab. la comm., 1,585 aggl.); traversant la longue rue du village,
on franchit le fleuve sur un pont suspendu (pont de Valrac), afin de gagner
Brissac (832 hab. la comm., 499 aggl.). Là route s’élève entre les mûriers, les
platanes et les champs cultivés. Au Mas-de-Valrac, ori peut monter à pied au
sud-ouest pour admirer, du haut do la colline (235 m.), la vue, très belle, sur le
portail dé Saint-Bauzille, le roc d’Anjau au nord-ouest, les Crêtes grandioses
dé la Séranne à 1 ouest-sud-ouest, et le vallon de Brissac, dominé par son vieux
château fort, qui, perché au faîte, se détache en.noir sur le ciel bleu.
La descente vers le village est un peu raide, mais 1res facile. Trois autres routes
se rencontrent ici : l ’une, au nord, vient de Ganges (par Cazilhac) ; l’au tre , au
sud-ouest, gagne Saint-André-dc^B lièges (119 hab. la comm., 15 aggl.), Saint-
Jean-de-Buèges et Pégairolles (Y. supra)-, la dernière rejoint la rive droite de
1 HérauTt, puis montcà Causse-la-Selle, par Embougette.
« Le pays prend un aspect désert, sauvage ; c’est brûlé, d’un grand caractère.
A une heure de Brissac, la montée commence ; nous nous élevons rapidement sur
les garrigues de Causse-la-Selle, et la vue sur la gorge de l’Hérault devient de.
toute beauté ; sur la rive gauche sont des bois de chênes verts.
(c Les collines ne sont pas élevées ; mais les lignes de l’horizon sont d’une
simplicité, d’une pureté extrêmes ; je ne me demande pas si c’est très haut, mais
j ai une vive impression de grande beauté ; c’est tout simplement splendide
comme ensemble. Bientôt, à droite, par delà la profonde vallée de Buèges, se
montre toute la longue chaîne de la Séranne, d’un gris-perle doré qui complète le
tahleau.
« Arrivés au village de Causse-la-Selle, nous continuons à monter à travers
des landes pierreuses, des bois, des taillis et enfin des chênes verts. Nous sommes
au faîte du plateau et nous commençons à redescendre vers l’Hérault à travers
bois. La route suit lès sinuosités du fond d’un singulier ravin, n ’ayant pas le
moindre cours d’eau. Ce ravin tourne sans cesse, et nous nous trouvons enfermés
entre deux talus de roches grises couronnées de taillis de chênes ; c’est d’abord
fort curieux et intéressant ; mais à la longue cette marche dans un cul-de-sac
devient insipide, puis réellement odieuse : c’est un vrai cauchemar. Si j ’avais
été seul, j ’aurais pu croire à une impression faussée par une cause quelconque.
Mais mon brave porteur a le même sentiment, et à un moment, quoique peu
bavard, il n ’y peut tenir et me dit ; « Est-ce que nous n ’allons pas bientôt
sortir de là ? » Enfin la pente s’accentue et nous apercevons les murailles de
la rive gauche de l’Hérault; c’est encore une prison, mais au moins est-elle
plus large.
« A un détour du défilé, les montagnes nues et hérissées de Saint-Guilhem
se montrent.
« Saint-Guilhem-lc-Désert (716 hab. la comm., 628 aggl.),. le bien nommé,
est dans un cirque de grandes roches, tout hérissé d’aiguilles, tout étrange
(ravin du Yerdus). Il est incompréhensible qu’on ait pu ' découvrir ce petit coin
perdu, alors qu’aucune route ne traversait cette solitude, et Guillaume d’Aquitaine
ne pouvait trouver un désert plus complet. Comment a-t-on pu bâtir dans
ce coin la charmante église de l’abbaye ; comment a-t-on pu y attirer d autres
hommes que des stylites, c’est à ne pas comprendre, et moins encore à comprendre
que le géant Gelboro ait bâti son château près de la pointe de Tune des
aiguilles. Il fallait être un saint ou
un bandit pour vivre en pareil lieu* »
(A. Lequeutre.)
L ’église de Saint-Guilhem (ou
Saint-Guillaume, l ’ancienne Gellone),
très appréciée des archéologues pour
sa triple abside et son architecture
ornementée du xn8 siècle, était celle
d’une abbaye fondée en 804 par saint
Guillaume, comte de Toulouse, duc
d’Aquitaine et de Septimanie, petit-
fils de Charles-Martel, et dont le
souvenir est resté populaire, grâce à
plus d’une histoire surnaturelle. Le
beau cloître est en grande partie détru
it; ses colonnettes et chapiteaux
ont été transportés dans une maison
d’Aniane1. Ce Guillaume fut terrible
aux Sarrasins. En 793, il les arrêta
devant Carcassonne; en 797, il leur
reprit Narbonne, puis Barcelone. La Abside de l’église Saint-Guilhem-le-Désert.
guerre le 'fit misanthrope, la misanthropie
le fit moine,le moine créa l’abbaye! Il mourut le 28 mai 812 (ou 813);
et, quand ses yeux se fermèrent, les cloches, d’elles-mêmes, sans qu’aucun bras
tirât les cordes, sonnèrent d’une manière, extraordinaire. La légende (fixée au
xvme siècle dans le cycle de chansons de geste intitulé : Guillaume au Court Nez
ou Fie'rabrace) illustra son nom et le transforma en pourfendeur de géants :
l’u n , nommé lsoré, fut tué à Paris même, au lieu dit depuis la Tombe-
Jssoire> un autre fut précipité du sommet d’u n rocher voisin de Saint-Guilhem,
où les ruines du château de Verdus ou de don Juan comprennent une
tour appelée encore le cabinet du géant, etc. (Ce château remonte, paraît-il,
au ix" siècle.) -
Yers 1162, les moines entourèrent le couvent de fortifications, dont une' partie
subsiste.
1. V. l’abbé Léon V i n a s ;. Visite rétrospective à Saînt-Guilhem-du-Dêsert ; Monographie de Gellone; Montpellier,
Séguin, 1875, in-8°; — Histoire, antiquité et architectonique de l’abbaye de Saint-Guilhçm-le-Déscrt. 1838, in-40.