d’obélisques et de pans de mur naturels; ce sont les témoins irrécusables du travail
des eaux et de l’affaissement des voûtes, laissés debout parce que l’érosion
s’est arrêtée avant d’entraîner leur socle de marnes, et capricieusement sculptés
depuis par les agents atmosphériques.
8° Enfin, dans les vallées mêmes, des éboulements colossaux, .obstruant le
thalweg entier et barrant le cours des rivières, comme le chaos du pas de Soncy,
à la perte du Tarn, achèvent de démontrer que les cassures (diaclases ou failles)
des dolomies ont été le réseau de trous de mine utilisé par les eaux courantes
pour pratiquer les cavernes, et que les écroulements de ces dernières ont tracé
ensuite le sillon originaire, l’amorce des canons actuels.
Telle est la cause qui a produit les admirables vallées françaises où vont
s’extasier des visiteurs chaque année de plus en plus nombreux.
Les fractures du sol ont donc joué un rôle capital, conformément aux idées de
M. Daubrée, dans la formation des thalwegs.
Tel n ’est pas l’avis de MM. de La Noé et de Margerie dans leur remarquable
ouvrage sur les Formes du tetrain'. Pour eux, l ’origine des vallées ne saurait être
attribuée généralement à des fractures (p. 163), Il est vrai que l’emploi du mot
généralement indique, dans la pensée de ces auteurs, qu’il y a des exceptions. La
principale des exceptions doit être faite pour les terrains calcaires très fissurés :
ils ne la concèdent pas cependant, puisqu’ils s’expriment ainsi :
« Les profondes vallées des Causses n ’existeraient pas si les bassins des cours
d’eau s’arrêtaient à la limite des calcaires perméables de la surface ; les eaux de
pluie s’infiltreraient dans le sol, au lieu de former des rivières assez volumineuses
pour creuser d’aussi profondes dépressions. Au contraire.,,, les cours
d’eau, formés sur des terrains non perméables... ont abordé la région perméable"'
avec un volume assez grand... pour approfondir leur lit... Les roches d’amont
étaient découpées et entraînées par le ruissellement, tandis que les calcaires qui
couronnent les Causses, grâce à leur perméabilité, échappaient à cette dégradation.
Ainsi s’explique naturellement l’aspect de la région aux environs de Fiorac,
où le Tarn et ses affluents semblent pénétrer, comme à travers un mur, dans
l’épaisseur du plateau » (p. 170).
. C’est laisser beaucoup trop large la part de l’érosion. Pourquoi refuser au
Tarn d’avoir fait jadis, aux dépens des caussés Méjean et de Sauveterre, ce que
font actuellement la Lesse à Ilan, le Bonheur à Bramabiau, Padirac à Gramat,
la Poik à Adelsberg, la Becca à Saint-Canzian ?
Ce qu’il faut dire, c’est que les canons des Causses ne seraient pas si profonds
si la différence d’altitude était moindre entre les plateaux et le bas Tarn (bassin
de la Garonne). Si la pesanteur n ’avait pas attiré les torrents vers le niveau de
la mer, les marnes bathoniennes n ’eussent pas été emportées,.et peut-être que les
voûtes des cavernes supérieures, restant soutenues comme à Ilan et Adelsberg,
ne se fussent pas écroulées. LeKarst, avec ses dolomies et ses jamas, nous montre
également ainsi de vrais canons en construction.
M. Fabro veut aussi que « les eaux, et les eaux seules, aient creusé ce sillon
du Tarn profond de. 600 mètres... qui n ’est pas le résultat d’une fracture ou
d’une série de fracturess » ,
Or, dans cette vallée même, commeà Bramabiau, Dargilan, Padirac, etc,, tous
1. Paris, impr. nationale, et Hachette, 1888, in-8®, et allas in-t°.
les grands coudes sont rectangulaires (Fiorac, Ispagnac, Montbrun, Sainte-
Enimie, pas de Soucy, Peyreleau), si bien que M.'de Malafosse avait supposé
l’existence d’une unique fissure ou craquelure agrandie par les eaux et coupant
tout le terrain urassique*.
Nous n ’allons pas ju sq u e -là ; les calcaires marneux ont certainement été
érodés.
En résumé, dans la région des Causses les eaux ont été assurément l ’ouvrier
actif du creusement des canons ; mais si elles en ont exécuté le travail matériel,
les cassures du terrain leur en avaient d’avance tracé le plan.
Nous ne pouvons mieux finir qu’en citant M. de Lapparent :
« Ce qui rend possible la formation de ces gorges, dans les terrains composés
de roches dures, c’est l’état plus ou moins fissuré de leur masse. H n ’est aucune
roche, à la surface du globe, qui ne soit découpée par divers systèmes de crevasses
et de joints ; chacune de ces fentes est une ligne de moindre résistance,
dont profitent les eaux torrentielles, et ainsi, par suite de la même loi qui oblige
les torrents à diminuer peu à peu, par érosion, la pente de leur canal d’écoulement,
les rivières torrentielles abaissent leur lit, non p a r creusement direct d’une
rigole dans la masse des roches dures, mais par l’affouillement et l’écoulement
progressif des quartiers fissurés qui affleurent dans les thalwegs.
« Mais il est peu de roches où la régularité des fentes et des plans de division
soit plus grande que dans les calcaires compacts; et comme d’ailleurs ces derniers
ne sont pas susceptibles de donner naissance à des talus d’éboulement
offrant quelque résistance; comme, de plus, en raison de leur perméabilité, ils
sollicitent, en quelque sorte, les eaux d’infiltration à descendre, on peut dire
qu’ils sont prédestinés à la formation des gorges à parois verticales, comme les
caftons américains. Les vallées du Jura, Celle de la Meuse aux environs de Di-
nant, celle de la Vézère et les profonds ravinements qui entament le plateau des
Causses en offrent d’exeellents exemples.
« Ce n’est pas le travail de la goutte d’eau creusant la pierre; c’est celui d’une
chute torrentielle débitant, à la faveur de sa puissance vive, des roches que la
gelée, la chaleur, et aussi les agents internes, avaient préparées à cette action, en
y faisant naître de nombreuses lignes de rupture.
« Ajoutons que les rivières qui circulent aujourd’hui au fond des canons du
Colorado, où l’oeuvre de l’érosion s’est accomplie dans des proportions si gigantesques,
ne sont qu’une image très affaiblie des courants par lesquels ces gorges
étaient remplies à l’époque quaternaire. En voyant que, de nos jours, ces rivières
ont encore la force d’approfondir leur canal, on est trop facilement tenté de
croire que le travail a marché de tout temps dans les mêmes] proportions, et
qu une longue suite de siècles a dû suffire pour amener les canons à leur profondeur
actuelle. Mais, là comme ailleurs, les preuves abondent d’un changement
radical survenu dans le climat de la contrée; et quand on réfléchit à ce que
devait être la puissance des eaux courantes à l’époque où, grâce à l’excès des
précipitations atmosphériques, le Grand Lac Salé remplissait toute la plaine dont
il n ’occupe plus que le fond, on n ’a pas de peine à comprendre que l’oeuvre principale
du creusement ait pu s’effectuer dans des conditions de rapidité beaucoup
plus grandes » (p. 2-13 etsuiv.).
1 . 1 . F a b r e e t d e M a l a f o s s e , Bull, de la Soc. d'histoire naturelle de Toulouse, 2 3 mai 1 8 7 7 .