tuellement le village de leur chute et perchées sur un promontoire de rocher
qui force la rivière à faire un grand détour. C’est un tableau d’un pittoresque
achevé. La route passe, en un tunnel de 110 mètres de longueur, sous le château;
la vallée s’élargit, et bientôt on distingue, sur un mamelon entouré de trois côtés
par un méandre du Lot, le village de Saint-Julien-du-Tournel (783 hab. la comm.,
200 aggl.), dont l ’église romane se détache en vigueur sur le ciel,
Puis on traverse Bagnols(914 m.), aux bains sulfureux rustiques, très fréquentés
pour les rhumatismes et les maladies de coeur, connus des Romains; — Sainte-
Eélène (191 hab. la comm., 172 aggl.); 0 Nojaret, où est né le chimiste Chaptal
(1786-1832); — Badarous (726 hab. la comm., 826 aggl.), et l’on parvient en vue
de Mende.
L ’ancienne route, encore plus riche en beaux points de vue, parce qu’elle
s’élevait davantage, passait au sud de la nouvelle par le col de Bourbon (1,081 m.),
très étudié des géologues, coupait la grande draye du mont Lozère et la ligne
de partage des eaux au point coté 1,189, à 1,800 mètres au sud-ouest du col de
Tribes, se maintenait dès lors entre 1,100 et 1,200 mètres, gagnait le col de la
Loubière, suivait la crête du roc de l’Aigle, qui, entre Lanuéjols et le Lot, relie
ce col au causse de Mende, et atteignait la ville par la descente de la Boussette.
Encore aux environs du chef-lieu de la Lozère, on peut voir le village celtique
de Chastel-Nouvel (598 hab. la comm., 201 aggl.), à 7 kilomètres au nord sur la
roule de Saint-Flour. Voici comment ses ruines sont décrites par le savant abbé
Boissonnade :
« Au nord-ouest de Chastel-Nouvel, et sur le chemin d’Aspres, des entassements
de matériaux forment sur le sol des bourrelets plus ou moins rectangulaires,
au-dessus desquels émergent parfois de gros blocs alignés, et accusent les ruines
d’un village très ancien, composé d’une vingtaine d’habitations de 4 à S mètres de
long sur 3 au plus de large.
« Les'plus gros blocs, établis de distance en distance, surtout aux angles et aux
deux côtés de l’entrée, semblent avoir formé la grosse charpente. Les vides étaient
remplis de pierres de moyen appareil, et à 1 mètre du sol devait s’appuyer la
toiture, consistant en arbres et en branchages recouverts de mottes de terre
gazonnées.
« Au centre de ces ruines figurait un amoncellement plus considérable de matériaux.
Des fouillés ont révélé en ce point l’existence d’un four.
« Ces ruines sont, du reste, presque en tout semblables à celles des vieilles habitations
gauloises ou celtiques si nombreuses sur l ’Aubrac. Ces dernières seraient
un peu plus arrondies ou plus irrégulièrement assises.
(t A quelques pas de là, vers l’ouest et sur le flanc de la pente, se voit un amoncellement
de roches métamorphiques qui semblent s’être détachées de la montagne
par fendillement, puis renversées pêle-mêle, sans ordre aucun.
« Toutefois, vers le bas de ce vaste éboulis on rencontre, ouverte sur l’ouest,
une porte formée de trois blocs énormes, dont deux, dressés à 80 centimètres
l’un de l’autre, sont surmontés du troisième en forme de linteau.
« C’est là l ’entrée d’une sorte de corridor de 1 mètre de large en moyenne, dont
les murs, en pierre sèche, grossièrement alignés, sont surmontés à hauteur
d’homme de blocs roulés l’un contre l’autre pour en former le plafond.
« Ce corridor, après quelques pas, donne accès à un étroit réduit de forme
arrondie, mesurant à peine 2 mètres de diamètre. De là partent, dans deux
nouvelles directions, deux couloirs très étroits, offrant juste le passage d’un
homme, sauf parfois dans le milieu d’un couloir, où Ton croit reconnaître un
retrait intentionnellement pratiqué; puis, à 3, 4 ou S mètres, chaque couloir
débouche dans une autre enceinte semblable à la première et donnant elle-même
une ou deux nouvelles issues ; ainsi de suite se continue ce réseau souterrain
tissu de mailles polygonales irrégulières, et dont chaque noeud n ’est autre qu’un
de ces petits refuges que les bergers savent si bien construire partout où les
pierres sont à leur disposition.
« Ce petit labyrinthe, aujourd’hui en partie ruiné, semble avoir été établi sur
une surface de ISO à 200 mètres carrés.
« On peut compter encore de dix à douze petites chambres, et l’on se demande
si, dans la partie la plus reculée vers le nord, il n ’existait pas une enceinte plus
vaste, à laquelle donnait accès l ’un des multiples couloirs que nous venons
d’ëtudier.
« Constatons que le toit de cette mystérieuse substruction, presque partout
recouvert de terre gazonnée, achevait de dissimuler son existence.
• « Quittant ce dédale, remontons sur le plateau et dirigeons nos pas vers le sud,
à 200 ou 300 mètres. A notre droite, un éboulis bien plus considérable, composé
d’un appareil gigantesque, frappe notre regard, et nous nous demandons si là
encore nos hommes aux muscles robustes, si avides de pittoresques constructions,
n ’auront pas mis à profit cet appareil tentateur.
_ « A peine engagés sur la pente risquons-nous parmi des roches anguleuses...
Mais, devant nous, voilà, grande ouverte vers l’ouest, une porte cyclopéenne
digne du monument dont elle est l’entrée. Trois blocs énormes suffisent à son
élévation : deux pieds-droits et un linteau. Derrière ceux-ci, même répétition; de
nouveaux blocs se dressent, d’autres sont roulés sur leurs têtes... Entrons; en
trois pas nous franchissons ce sévère vestibule, puis, obliquant brusquement
à gauche, nous voyons se dresser, irrégulièrement alignés, de nouveaux géants,
sur lesquels dorment en travers leurs frères étendus... Nous sommes dans une
allée couverte, très praticable sur une douzaine de mètres, mais dont le fond en
ruine se perd dans le pêle-mêle des roches environnantes,
« Dans le premier abri, rien, sauf l’entrée, n ’égale le second; mais les dimensions
des matériaux employés et leur position sur le flanc de la vallée semblent
avoir imposé cette nouvelle structure.
« Ici encore, mystère. Sont-ce là des refuges pour servir de retraite en cas
d’invasion aux habitants du village voisin? Une peuplade nomade, aux temps
préhistoriques, serait-elle venue s’établir en ces lieux ? Les archéologues trouveront
assurément certains traits de parenté entre ces constructions et celles de
l’âge des dolmens. Ici comme là, emploi des matériaux à l’état brut, sans trace
aucune de marteau, de ciseau, etc.
« Quant à la tradition, elle est muette... à moins qu’on ne tienne compte de
légendes absurdes1, légendes qui néanmoins nous montrent à toute époque l’incertitude
et le mystère planant sur ces ruines.' »
Ces étranges demeures, en partie souterraines, ont été découvertes ou explorées
de 1871 à 1877 par M. André, archiviste de la Lozère, et les abbés Louche,
et Boissonnade. M. Maurin^agent-voyer, en a levé le plan 2. Elles ne sauraient
1. Un chien serait entré dans le. souterrain à la poursuite d’un lapin et serait allé sortir à Villeneuve
(3 kil.) ou au château de Randon^au sommet de la Margeride (10 ou 12 kil.).
2. Pour plus de détails, voyez Bulletin de la Société il'agriculture de la Lozère pour 1875, p. 115 et 157 ; —