avaient peur de celte espèce de ville morte : la superstition leur montrait là,
une cité maudite, démolie par le diable et hantée, par les mauvais génies; avec
terreur ils s’en approchaient pour quérir leurs chèvres ou couper du bois; ils se
gardaient bien d’en parler aux étrangers, qu’ils n ’y eussent conduits à aucun prix.
A toute interrogation se faisait cette invariable réponse : « Je n ’y suis pas
allé; mais on dit que c’est un pays tout de rocs et d’abîmes, où le diable
a détruit une ville. »
Des villes semblables existent en Afrique, dans le désert de Libye, au sud-ouest
du Nil et de Siout (Egypte), sur la lisière septentrionale de l’oasis de Dakhel
(ou de Kasr) : là, un labyrinthe de rochers calcaires « est une des plus étranges
formations de ce genrè qu’il y ait dans le monde. Les fissures étroites qui serpentent
et se croisent sous des angles divers entré les masses laissées debout,
ressemblent aux rues d’une cité fantastique, bordées de monuments bizarres,
de pyramides, d’obélisques, de trophées, de sphinx et de lions, même de statues
ayant une vague apparence humaine. Au nord de cette ville sans habitants,
une porte naturelle a reçu do Gérard Rohlfs le nom de Bab-el-Jasmund.
Un portail rapproché, plus gigantesque encore... est appelé Bab-el-Cailliaud, en
souvenir du premier voyageur européen qui, dans les temps modernes, parcourut
ces régions inhospitalières. » (E. R ec lu s, Géographie, t. X, p. 481‘.) Voilà
quelques lignes que l’on pourrait appliquer à Montpellier-le-Vîeux, sans changer
autre chose que les noms des deux portes.
La France même possède encore deux autres villes naturelles de.ee genre :
Mourèze et le Bois-de-Paiolive, décrits aussi dans le présent volume (chap. XIII
et XX). Mais aucune des deux n’égale celle du causse Noir comme hauteur de
rochers ; en effet, leurs plus hautes tours atteignent à peine 30 mètres d’élévation ;
Monlpellier-le-Vieux a des abrupts de 100 mètres. En outre, il est situé — et ce
n ’est pas là sa moins originale particularité — au sommet du plateau, à la pointe
d’un cap, en l’air, en un mot, tandis que Mourèze est confiné dans une creuse
vallée, et Païolive étendu sur une plaine.
Il y a cinq ans à peine, c’était chose fort amusante que de voir les indigènes
tout stupéfaits de notre admiration.
« Mais c’est de mauvais pays, disaient-ils. en leur rude patois; c’est tout de
rocs; y a pas de maisons !
— Laissez-nous faire, répondions-nous ; faute de maisons, il y aura bientôt des
pièces de cent sous à gagner. »
Et la prédiction se réalisa dès 188S : au mois d’août 1888 je trouvai bien
changé le langage de ces braves gens :
« C’est vrai, tout de même : ce n ’est pas du si mauvais pays; il en vient, du
beau monde! ils nous ont déjà payé toutes les taxes de l’année. »
Et de prendre des licences de débitants, et de construire des chambres, et-de.
dresser leurs mulets au service des touristes ! Les habitants des alentours ont
vite connu leurs vrais intérêts.
Us commencent à ne plus avoir peur de la ville du Diable, voyant que leurs
falaises maudites produisent non pas des esprits malfaisants, mais les beaux écus
sonnants semés par les voyageurs curieux !
t. V. Petcrmantis M ütheilmgen, 1875, pl. 11, carte originale de l’expédition de G . Rohlfe dans le désert de
Libye ; — G . R o h l f s , Trois mois dans le d f s é i de Libye (en allemand); Cassel, Fischer, 1875, in-8», 310 p.,
1 carte et 28 pl., 3 fr. 75.
L’étymologie du nom est bien simple : frappés p a r la disposition artificielle et
architecturale des rochers, les pâtres les comparèrent à ce qu’ils avaient vu dans
les édifices du chef-lieu de l ’Hérault,-la plus grande ville de la contrée et pour
eux la cité par excellence; de là vint tout naturellement la dénomination de
Montpellier, à laquelle l ’idée de ruine, de destruction, fit joindre l’épithète de le
Vieux.
La comparaison fut d’autant plus spontanée que le surnom patois de la ville
humaine est « lou clapas ■>, ce qui, mot à mot, veut dire tas de pierres.
Aussi les bergers du bas Languedoc qui viennent, l ’été, chercher sur le Larzac
d’excellents herbages pour leurs troupeaux chassés des rivages méditerranéens
par la chaleur et la poussière, apercevant de loin et au nord de la Dourbie l’immense
« tas de pierres », semblable à un amoncellement de monuments détruits,
le baptisèrent-ils, sans grand effort d’imagination, « Montpellier-lou-Viel ». Le
plan cadastral a appliqué ce nom à l’un des cirques, celui des Rouquettes. •
Vues à distance, ces roches, groupées en amphithéâtre autour d’un triple piton,
qui les domine comme les tours d’une cathédrale, font bien l’effet d’une vieille
cité morte.
Venons aux voies d’accès et aux sentiers. Pour arriver dans Montpellier-le-
Vieux on a le choix entre plusieurs routes : Maubert au nord; Valal-Ncgre à
l ’ouest; Doul, Canazels, la Combe au sud ; Riou-Sec et Bouxés à l’est; chacune
de ces routes amène en un point différent de l’enceinte. Deux seulement sont
aisément praticables à mulet : celle de Maubert et celle de la Combe (qui monte
du village de la Roque-Sainte-Marguerite); les autres se transforment par places
en sentiers de chèvres, très accessibles, mais pas toujours faciles à trouver sans
guide. C’est quand on arrive par Maubert et la citadelle que la première impression
est le plus saisissante. Toutefois l’ascension par la Roque et la Combe reste
seule vraiment commode en venant de la Dourbie. -S- Sur les pentes extérieures,
en dehors de l’enceinte des grands cirques, il y a de bons chemins accrochés
aux parois du causse, raccordant tous les précédents et présentant de splendides
points de vue sur le fossé de la Dourbie, ainsi que de bizarres figures naturelles
dans les rocs isolés, ouvrages avancés et détachés de la muraille de la ville ; nous
les indiquerons plus bas, dans l’itinéraire. — A l’intérieur, on peut, en principe,
passer partout, par-dessus tous les cols, à travers toutes les fentes, entre tous les
rochers : je n ’ai trouvé que six grandes brèches infranchissables ; encore, quelques
coups de faux parmi les houx, les genêts- et les ronces, en dégageraient-ils bien
deux ou trois. De même, les principaux sommets se laissent presque tous escalader
: trois ou quatre seulement font exception. Il va sans dire que pour se
glisser et se hisser ainsi partout, gymnastique et agilité sont de rigueur; mais
cet amusement n ’est pas indispensable pour connaître à fond Montpellier-Ie-
Vieux; même sans descendre de mulet, on en verra les plus belles parties. C’est,
en somme, une excursion très facile, sans fatigue et sans danger, qui demande
seulement une belle et longue journée.
Après l’abus qui vient d’être et qui sera fait encore ci-apr.ès des qualificatifs
élogieux et des épithètes admiratives, il importe de prévenir les touristes qu’une
déception peut-être les attend à Montpellier-le-Vieux.
Depuis six ans maintenant que le site est connu, décrit et parcouru, il s’est
rencontré plus d’un visiteur qui n ’a nullement partagé l’enthousiasme des premiers
explorateurs : l’un, botaniste, contrarié sans doute de ne pouvoir atteindre