en piliers (basaltes) ou en talus à gradins (marnes jurassiques, calcaires oxfor-
diens, etc.). Quelquefois l ’érosion seule a suffi poiir creuser un canon. A voir avec
quelle lenteur l ’approfondissement se continue de nos jours, on se demande,
effrayé, combien il y a de siècles révolus depuis le début de ces gigantesques
évidements ; il est vrai que jadis les eaux sauvages s’écoulaient en ondes incomparablement
plus rapides et plus puissantes.
Au point de vue pittoresque, les canons composent les tableaux les plus grandioses
de la nature ; tous les voyageurs s’accordent à proclamer la magnificence
des spectacles offerts p a r ces défilés étroits, souvent obscurs, où la lumière descend
verticale, mystérieuse et tamisée; où les couchers du soleil donnent des
reflets fantastiques aux couleurs éclatantes des roches rougies, jaunies et noircies
par les sels de fer, tandis que les.promontoires des falaises, hautes de
SOO à 2,000 mètres, et tailladées par les météores en minarets et châteaux
forts, jouent le rôle de coulisses de théâtre et amènent à chaque coude un changement
de scène saisissant ; car bien souvent aucune route n ’a pu être tracée
dans le fond de ces fossés immenses ; le cours d’eau seul, qui les a patiemment
excavés, y trouve place, et c’est en barque, sur ses flots, que s’opère (merveilleux
voyage) la descente de l’étrange vallée.
Les montagnes Rocheuses dans lés Etats-Unis d’Amérique, ont presque le
monopole des canons et possèdent les plus grands du monde. Celui du moyen
Colorado (Arizona), Je plus remarquable de tous, n ’a pas moins de 474 kilomètres
de développement; on le partage en Marble Canon (canon de marbre)’,'d o 104
kilomètres, et en Great Canon (grand canon proprement dit), de 370 kilomètres ;
sa profondeur varie de 600 à 2,000 mètres, et Sa largeur, au sommet des murailles,
de 1 à 10kilomètres ; au confluent du p e tit Colorado (r.g.), à la jonction
du Marble et du Great Canon, la distance verticale entre.les riyes du fleuve et les
rebords du plateau est d’environ 2,280 mètres ; mais, en cet endroit, ni l’une ni
l’autre des deux parois ne se dresse d’un seul je t au-dessus du torrent ; de gradins
en gradins, une superposition d’abrupts rocheux et de talus a fortes pentes
s’étage en retraits successifs, de telle sorte que l’éeartement des deux lèvres de.
la fissure devient considérable, et que le canon prend ici l ’aspect d’un amphithéâtre
plutôt que d’une galerie ; plus bas, au contraire, à la jonction de la vallée
de Toroweap (r. dr.), deux vrais murs tout droits s’élèvent d’une seule venue à
900 mètres au-dessus du Colorado. A leur sommet, d’un bord à l’autre l’écar-
tement n ’est que de 1,000 mètres, et c’est ici que se trouve le plus resserré et
relativement le plus profond de tous les canons. Plusieurs affluents du Colorado
{Green River, Kanab, Rio Virgen, etc.) mugissent, de même que le "grand fleuve,
au fond de rigoles semblables, entre 600 et 1,500 mètres en contre-bas des hauts
plateaux ; c’est, en effet, une vaste région de plateaux montagneux (territoires
de l’Utah et de l ’Arizona) qui se trouve sillonnée par ces canons géants ; le rabot
des eaux courantes y a successivement entamé, par un abaissement constant du
lit des rivières, les dépôts de toutes les périodes géologiques, depuis le tertiaire
éocène jusqu’aux schistes primitifs. Le grand canon du Colorado surtout doit sa
splendeur à la dégradation des assises carbonifères et perm-iennes (dolomies
roses, grès rutilants, etc). Au nord de cette région, dans le territoire du Wyoming,
le parc national du Yellowstone montre aussi un grand canon creusé dans les
roches volcaniques, bordé de colonnades de basalte, profond de 300 mètres,
large au sommet de 400 à 1,600 mètres, et long de 40 kilomètres.
Beaucoup d’autres gorges du même genre, mais de moindres dimensions,
existent dans les montagnes Rocheuses (grand canon du Snake River [140 à
230 m. de profondeur, 80 kil. de longueur], Shoshone canon [280 m. et 20 kil.h
Lodore canon du Green River [636 à 914 m. et 32 kil;j-, etc.). Le cours supérieur
du Colorado traverse huit ou neuf canons longs de 24 à 240 kilomètres, etc. Les
gorges du Caucase et des Alpes, les barrancas du Mexique, des Andes et des
Pyrénées, les cluses du Jura, ne sauraient être comparées à ces vastes avenues,
tant à cause de leurs proportions réduites que parce qu’une seule de leurs parois
Grand canon du Colorado (coupe théorique au confluent du petit Colorado).
(Communiqué par le Club alpin.)
le plus souvent est taillée en mur, l’autre restant disposée en pente douce comme
le penchant d’une montagne normale.
Mais la France possède aussi ses canons dans les vallées du haut Tarn, de la
Jonte, de la Dourbie, de la Vis, moins creux, moins colossaux, moins sauvages
que ceux de l’Arizona, plus verdoyants toutefois, plus gais, presque aussi surprenants
par l’antithèse que.leur gracieuse fraîcheur fait avec la désolation du
causse chauve.
Et ce n ’est pas le pittoresque seul, avons-nous dit, qui appelle l’attention sur
Grand caiion du Colorado (coupe, théorique près de t a vallée^de Toroweap).
(Communiqué par le Club alpin.)
cette région : de très singuliers phénomènes géologiques s’y manifestent aux
savants.
Une des particularités de la géographie physique des Causses, c’est leur
régime hydrographique. Les grandes rivières n ’ont pas d’affluents à ciel ouvert :
les eaux des pluies sont absorbées à la surface des Causses par les gouffres ou
avens (abîmes) ouverts dans le calcaire, entre 800 et 1,200 mètres d’altitude ;
elles circulent dans les entrailles des plateaux, parmi les cavités et les conduits
souterrains qui sillonnent la masse interne et la font ressembler à une éponge ;
puis, au contact de nappes d’argile, elles ressortent au fond même dés basses
vallées, au niveau des rivières (entre 300 et 600 m. d’alt.), sous la forme de