Avant de s’y engager, on pourrait descendre un peu dans la grande et triste
dépression de Malbouche, toute velue d’arbrisseaux fourrés, pour rencontrer Un
amas de pierres posées au niveau du sol et formant la voûte d’une maison ; le
bâtiment se compose d’une grande cuisine ogivale et d’une autre salle. Le mur.de
séparation, à demi-écroulé, laisse voir une cachette ménagée derrière la cheminée
au moyen de deux murailles qui sé soudaient ensemble.
Cette habitation souterraine est actuellement convertie en bergerie. Au siècle
dernier, elle servit de repaire à Jean G /m , personnage légendaire, sorte de
loup-garou qui s’emparait, pour les dévorer ensuite, de tous les enfants des
environs.
Cerné par les habitants exaspérés des villages voisins, il fut pris au gîte,
traîné à Alevrac et enfermé vivant dans un four chauffé à blanc.
Cette construction paraît remonter au xne ou au xm° siècle. Les sires de Sévérac,
seigneurs suzerains de la contrée, avaient embrassé la cause des Albigeois. Des
sectaires durent se réfugier dans ce désert pendant la période de persécution.
A quelques mètres de la construction principale se trouvent de nombreuses
bâtisses en pierre sèche aux trois quarts écroulées, et qui semblent témoigner
du séjour en ce lieu d’une population assez nombreuse.
Toujours aux abords de la cote 862, les rochers des Mourgues, monolithes
élancés, qui servent de point de repère aux chasseurs de la contrée, se dressent
à l’origine du ravin ouvert sur la Jonle et où commence le sentier de Saint-
Michel : ce sentier, pratiqué sur les corniches de la dolomie, à 100 mètres environ
en contre-bas du plateau, est très boisé, parfois gazonné et relativement facile,
quoique accessible aux piétons seuls. Le soir, cependant, il devient dangereux,
car il n ’est point large, et le précipice en descend, abrupt et glissant.
Le parcours en est réellement splendide, quoiqu’un peu long.
Sur la gauche, un rocher tabuliforme, à demi caché dans un bois de pins, ne
fient au sol que par un mince'piédestal, curieux effet de l ’érosion ; sous son
auvent circulaire, haut de 5 ou 6 mètres, une troupe nombreuse s’abriterait à
l ’aise; un plaisant l’a baptisé du nom de champignon préhistorique ;
En face, d’autres rocs se détachent de la montagne comme des-clochetons
d’église et dominent l’abîme de plusieurs centaines de mètres.
Rien du fond de la vallée ne peut donner une idée i^u spectacle dont on jouit
à cette hauteur.
Au bout de dix minutes d’une descente aisée, on se trouve sur une sorte de
terrasse suspendue à 1,400 pieds de hauteur.
Cette terrasse, large de quelques mètres seulement, se continue presque plane
ju sq u ’à l’ermitage de Saint-Michel, pendant plus de 2 kilonjètres (4 au moins avec
les détours). Elle a l’aspect d’un chemin de ronde entre deux remparts superposés.
Le rempart inférieur, d’une régularité parfaite, se bombe en doux demi-lunes,
le rocher Curvelié et le rocher Fabié, dont les profils se détachent immenses sur
le vide de la vallée.
Au rocher Curvelié, un pin rabougri, de 2 mètres de hauteur, permet, si l’on
ne craint pas le vertige, de se pencher sans danger Sur le précipice. Le rocher a
pour hase un talus très raide, qui tombe directement dans la Jonte. De sa plateforme,
un bras vigoureux pourrait lancer une pierre dans les eaux de la rivière,
à 400 mètres de profondeur. La vue est sincèrement émouvante.
Ici le portique des géants, le vase de Sès'res et les autres ornements sculptés
du tympan du causse Méjean, ne sont distants que de- 800 mètres à vol d’oiseau.
Wm WÈÊÊÊ I H ü i . . ü Un peu plus loin, le chemin lui-même devient quelque peu vertigineux : c est
une vraie gouttière apposée aux flancs d’un mur surplombant. Quelques travaux,
pas très coûteux, le rendront sûr et muletier.
Entre les rochers Curvelié et Fabié, la paroi du causse est découpée d’embrasures
régulières qui semblent attendre des canons formidables. Encadrés dans
ces embrasures, apparaissent, par échappées, les bords verdoyants de la Jonte
et leurs rideaux de peupliers, lilliputiens à cette profondeur.
liocher Fabié, vallée'de la Jonte, causse Méjean, vus de Saint-Michel. — Dessin de Yuillier,
phot. Chabanon.
(Communiqué par le Club alpin.)
Le rocher Fabié surplombe peut-être un peu moins que son voisin ; mais l’on y
admire de plus près le grandiose fouillis de Saint-Michel. Une demi-heure encore
est nécessaire pour atteindre les ruines ; avant, on passe à côté d’une petite source
qui tarit rarement et près de laquelle, à l’ombre fraîche des grands arbres, un
tapis de mousse invite à déjeuner sur l’herbe en face du splendide paysage !
En résumé, si l’arrivée par Saint-Jean-de-Balmes est plus saisissante, le chemin
des Cornichestest de beaucoup le plus varié.
Mais l’ermitage de Saint-Miquel n ’est que la fin du chaotique ravin des Paliès
(Espaliès de la carte),, qui commence plus haut, dans le cirque de Madasse : tournons
donc, quoi qu’il nous en coûte, le dos au gouffre de la Jonte ; à droite et au