. Tenant à donner mon impression personnelle et ne pouvant parler que des
grottes que j ’ai eu occasion'de. parcourir, j ’estime que Dargilan est, en beauté,
inférieure à Adelsberg et supérieure, à Ganges, Rochefort et Ilan-sur-Lesse ; ces,
quatre éléments de comparaison suffisent amplement d’ailleurs pour formuler
une juste appréciation. J ’ajoute en hâte que toutes ces grottes différent entièrement,
qu’aucune ne fait to rt à l’autre et; que chacune mérite une visite particulière,
pour une attraction spéciale manquant aux a u tre s1. Adelsberg offre la
la largeur de ses corridors, la profusion.et la richesse de ses concrétions calcaires,
u n lac et un cours d’eau, l’étendue de ses salles et voûtes, en un mot la
réunion de tout ce: qu’on va admirer dans les cavernes ; mais elle est à peu près-
uniforme de niveau, privée de ces puits et de ces descentes raides qui ajoutent
le charme d e là difficulté vaincue et augmentent le plaisir en le faisant acheter.
Han-sur-Lesse possède son dôme grandiose et sa sortie enchantée en barque,;
avec iin effet de lumière peut-être unique au monde; en revanche, l’ornementation
des parois est'pauvre, et les cristallisations sont voilées par la suie des
torchés e t dès lampes ; puis les coups de canon que l’on y tire en enfument
perpétuellement l’atmosphère et suppriment toute transparence et tout éclat. La
descente mélodramatique de Rochefort pourrait s’appeler l’Escalier de l’enfer ;
la salle du Sabbat montre sa coupe très hardie et de jolies draperies : mais aucune
coupole n ’atteint là des dimensions colossales. A Ganges, la façon dont on
arrive à la salle de la Vierge par le sommet, pour y descendre ensuite en spirale
le long d’échelles én fer,, est une grande bizarrerie souterraine : par contre,
point dé nappes d’eau ni d’autres grandes salles, et puis, comme à Han, tout
est enfumé et encrassé par la résine. Dargilan enfin se distingue par le peu
d’étendue des. couloirs, le nombre des grandes salles (vingt en to u t, mesurant
de 20 à 190 mètres de longueur et de 10 à 70 mètres de hauteur), la finesse, la
taille et la variété- de ses concrétions, sa pénétration à une grande profondeur
et la pittoresque (disposition de èes trois branches : cependant elle abonde
moins en détails et elle est de proportions moins vastes qu’Adelsberg.
Je n ’ai point voulu, comme pour Rramabiau (F. chap. XI), faire le journal de
la découverte : je ne puis cependant omettre quelques péripéties survenues
dans l’exploration de la branche ouest. Lors de la première visite, notre compagnon,
M. Fabié, demeura seul en haut de la galerie de la Corde avec une
courte bougie : Louis Armand (celui-là même qui était tombé dans la rivière souterraine
des Douzes), notre mineur et moi poussâmes ce jour-là jusqu’à l’impasse
du Fuseau; en remontant au point où nous avions laissé notre compagnon, nous
ne l’y trouvâmes plus! J ’éprouvai une angoisse folle, courte heureusement, car
à nos appels désespérés une voix lointaine et terrifiée répondit bientôt et nous
guida vers, l’absent. Il y- avait près de trois heures que nous -l’avions quitté,
alors que nous pensions être rêstés.séparés une demi-heure à peine ; nos signaux
1. L e s g ro tte s d’Amérique, et su rto u t du Kentucky, de la. Virg in ie e t de l ’In d ia n a (É tats-U n is),.so n t d e ■
b e a u co u p p lu s éten d u e s , m ais leu rs a c cid en ts p a ra issen t ê tre bien m o in s v a rié s et m o in s pittoresques ; le s
P' Mammouth, 240 Ml. (en 226: b ran c h e s ou avenues) de lo n g u eu r ; l a p lu s g ran d e salle a
d e lo n g u eu r, 90 d e l a rg e u r, 33“ ,50 de h a u te u r ; — droites de W ya n io tt (37kl‘,6), de Ntkajack(.19 kil.) et de Homes
f llk ii 21. (V. C. F r u w i r t h , Petermann’s Mütheilumjen, ju ille t 1888;) E n 1859 o n connaissait dans la g ro tte du
M am m o u th .57 d ômes, 11 lac s, 7 riv iè re s , 8 ca ta rac te s e t 32 puits. Depuis on y. a fait e n c o re d a u tre s 4'eeou-
vërtesl — V. P o o s s ie lg u e , T o u r d u monde, 1863, 2e s e r n . B u l l i t , Rambles m the Mammoth cane; 1844,
| 'C_ P o rw o o p , The Mammoth cave; 1 870;— P a c k a r d a n d P o tn am , The Inhabitants o f Mammoth cave; 1872; -
Encyclopédie britannique, 9» édit., t. XV , av e c plan détaillé (p. 449).
ininterrompus de sifflets et de cornes, convenus pour annoncer que tout allait
bien, avaient cessé depuis longtemps de frapper son oreille, le son se perdant
dans les sinuosités de la grotte ; sa lumière, s’était éteinte, ses propres appels
ne nous étaient pas parvenus : a u s s i, croyant à un malheur, il avait voulu regagner
seul la, grande salle et s’était, sans bougie, égaré dans le labyrinthe : à
8 heures 30 minutes du soir, nous sortîmes de la caverne, tous plus émus que
nous ne voulions le paraître. Au surplus, quelques instants avant de constater
la disparition de Fabié, nous avions été saisis d’une première frayeur : tandis
que, près de la grande cascade,
je scrutais Vimpasse
de l’Eboulement, Blanc et
Armand, qui,-à l’entrée de
cette impasse , tenaient la
corde où je m’étais atta^
ché, crurent voir basculer
u n bloç de pierre dont la
chute m’eût bouché le chemin
et enterré vif : j ’avais
déjà reconnu à 33 mètres
de distance l’absence de tout
dégagement, et je rétrogradais
bien tran q u illem en t,
quand leur cri de te rreu r
me les fit instinctivement
rejoindre en trois bonds!
Fausse alerte : le bloc ne
s’était affaissé que de quelques
centimètres, et le lendemain
il n ’avait pas bougé
davantage. Inutile d’ajouter
que, pendant la n u it suivante,'
passée sur le foin
dans une grange du hameau
de Dargilan, le sommeil de
toute la bande se peupla de
Un coin du Cimetière; l’accident. — Dessin de Yuillier,
quelques cauchemars !
d’après un croquis de Th. Rivière.
(Communiqué par le Club alpin.)"
Mais à la seconde visite"
de la branche ouest, après la découverte du Clocher et du Tombeau, u n fâcheux
accident marqua le retour : un autre de nos aides si-dévoués, Ilippolyte Causse,
dit Poulard, le chef cantonnier de Meyrueis, qui a fouillé tan t de grottes avec
tous lès archéologues venus pour étudier la préhistoire des Causses, avait voulu,
malgré nous, descendre directement de la salle des Vasques dans le Cimetière
p a r un mur perpendiculaire haut de 6 mètres (m u r de la Chute, n° 48) : imprudent
tour de force qui faillit lui coûter la vie ! Une stalagmite cassant dans sa
main le précipita à la renverse sur la tête et les reins, qui heurtèrent des
pierres acérées et tranchantes ; nous le crûmes tué du coup, et c’est miracle que
cette chute effroyable de 6 mètres n ’ait amené que la luxation d’un doigt,
l ’ablation d’un ongle et des contusions sans gravité ! Ce que fut la remontée du