pauvre blessé de cette profondeur de 120 mètres et de cette distance de 1 kilomètre
et demi jusqu’à l’entrée de la grotte, je ne puis me le rappeler sans frémir.
A chaque instant nous redoutions qu’une syncope n ’amenât quelque autre
chute fatale ; l’admirable énergie du patient permit seule de lui faire franchir
sans catastrophe les pas difficiles du Boyau et de la Corde. Bien heureusement,
des soins diligents et quelques jours de lit amenèrent la prompte guérison du
brave et intelligent auxiliaire auquel je suis, depuis ce jo u r surtout, attaché
en véritable ami.
Des travaux ont été exécutés en 1889 pour rendre la grçtte de Dargilan accessible
sans danger au public; le Club alpin a accordé pour cet objet une forte
subvention, argent certes bien placé, car c’est là une curiosité hors ligne, qui
ne peut qu’accroître la vogue naissante de la région des Causses*.
CHAPITRE Xf
BRA.MA.BIAU
Bramabiau est une de ces oeuvres grandioses et bizarres que la nature exécute
à coups de siècles et qui confondent l’esprit humain.
C’est une des plus curieuses merveilles de notre France,.
Il y a longtemps que les géologues vont s’y extasier2, mais les touristes l ’ignore
n t encore.
Dans le département du Gard, à 8 kilomètres sud-est de Meyrueis (Lozère),
sur la route de Mende au Yigan, le plateau de Camprieu( 1,100 à 1,130 m. d’alL)-
représente le fond d’un ancien lac, dont le ruisseau du Bonheur, issu des flancs
de l’Aigoual, traverse aujourd’hui le bassin desséché. A l ’ouest, les calcaires
bruns de l’infra-lias formaient autrefois une barrière par-dessus laquelle les
eaux du lac se déversaient en cataractes dans la vallée voisine, où s’exploitent
lès gisements plombifères de Saint-Sauveur-des-Pourcils. Aujourd’hui lac et
cascade ont disparu. Un point faible s’est rencontré dans cette berge (sous la
cote 1128 de la carte); les eaux ont donc troué leur digue et foré, à 1,095 mètres
d’altitude, un tunnel rectangulaire étonnamment régulier, mesurant 8 à 12 mètres
de hauteur, 15 à 20 mètres de largeur et 75 à 80 de longueur ; aux basses eaux, on
peut le parcourir en entier. C’est la partie supérieure de l ’ensemble dit Bra-
1. En France, les grottes de Sorèze, (Tarn; lacs, rivières, puits, etc.) et des Fées à Roquefort (1,500 m. 'reconnus,
nombreux gouffres) n’ont jamais été explorées à .fond; celles à! Arcy-sur-Cure (Yonne, 876 m. de longueur)
ne méritent pas la réputatiomqu’elles doivent à Perrault (1674), Buffon (1740 et 1759), Pasumot (1784)
.et Belgrand (Bulletin de la Société géologique de France, 1845, 2e série, t. II, avec plan) ; dans le Jura on cite
surtou les grottes d’Oise Wes (1 ¡kil., plan par Rochon dans Y Annuaire du Doubs pour 1847). —' En Belgique,
celles de Remouchamps ont 500 mètres de long et une rivière (le Rubicon) ; v . ' S c h d l s , Bruxelles, 1832, in-4°.
V. aussi S c h m i d l , Adelsberg, 1854, Vienne ; Q u e t e l e t , Han-sur-Lesse, 1823, Bruxelles ; A l l e w e i r e l d t , Ilan-
Sur-Lesse, 1830,. Bruxelles, etc.
2. Les Mémoires de. VAcadémie des sciences pour 1768 renferment un travail de M q n t e t sur l’histoire naturelle
des Cévennes, où Bramabiau se trouve sommairement décrit et où il est question d’un éboulement.
colossal survenu en 1766 et ayant barré le ravin de la sortie.
mabiau. A l’extrémité de cette monumentale galerie la voûte s’est effondrée, et
une sorte de large puits d’aérage tronconique, un entonnoir en un mot, permet
de remonter sur la digue; le plan cadastral dénomme ce puits le Balset. Mais le
Bonheur ne retrouve pas encore son cours normal; presque sous l’entonnoir et
aux pieds du spectateur s’ouvre, à angle droit avec le tunnel, une caverne qui se
prolonge à 60 mètres vers le sud ; un trou profond est béant dans cette caverne :
c’est la bouche d’une fissure qui avale le Bonheur tout entier. Cette solution de
continuité est fort bien indiquée sur la carte de ,1’état-major, feuille de Sévérac.
Bramabiau : le tunnel. — Dessin de Vuillier, d’après nature.
A 440 mètres de distance à vol d’oiseau, et au fond d’une colossale alcôve
excavée dans la muraille gauche de la vallée de Saint-Sauveur-des-Pourcils, la
rivière perdue reparaît, abaissée de 90 mètres (soit par 1,005 m. d’ait.), sous
la. forme d’une épaisse cascade et avec l’appellation de Bramabiau (ou Brama-
oiâou, beuglement du taureau);.. Le mugissement du torrent, répercuté de paroi
en paroi avec un fracas terrible aux hautes eaux, explique ce nom. « Ici les termes
vont me manquer, car il s’agit de décrire une nature étrange, terrible et mystérieuse.
>ri(E. F kossabd, Tableau... de Nimes, etc., supplément, 1838, p. 95.)-
La chute d eau, à l’extrémité de l’alcôve, a 10 mètres de hauteur; elle sort d’une
haute fissure pratiquée dans la muraille du causse; un peu au delà, et sous la
voûte de la fissure, qui se perd dans l ’obscurité, une seconde cascade, haute de
6 mètres, reste invisible du dehors et infranchissable; là est la véritable source