De ce Saint-Bernard de l’Aigoual (où six chanoines sonnaient la cloche
et allumaient des feux comme signaux lors des bourrasques) il subsiste : 1 ° une
muraille d’environ 12 mètres de longueur, que perce une porte en plein cintre
avec trois consolés, supportant sans doute jadis des mâchicoulis, et flanquée de
deux épais contreforts : le tout, de' construction assez peu soignée, est du xiv° ou
xve siècle seulement ; 2° la moitié de la chapelle, p e tite 1, massive.et nue, mais
des plus intéressantes pour l’archéologue : l’appareillage en est admirable ; les
m u rs, épais de 1“ ,32, se composent de deux parements, l ’un extérieur, l ’autre
intérieur, en gros blocs de grès du lias ayant ju sq u ’à 80 centimètres de
longueur, et d’un blocage de- pierrailles perdues, entre les deux p arements, le
tout sans ciment. Cette dernière particularité est ce qu’il y a de plus remarquable
dans les ruines de Bonheur, et permet de faire remonter les restes de
la chapelle à la fondation de l ’an 1002. En effet, les architectes romans primitifs
ont seuls contrefait ainsi le grand appareil romain; dès la fin du xi° siècle
ils l ’abandonnèrent, ayant appris la coupe des pierres e t l ’a rt du claveau, qui
donnaient aux édifices à la fois plus de solidité et de légèreté. Toutefois il faut
reconnaître que la taille des blocs de Bonheur est irréprochable, puisque les
murs non abattus p ar l'homme ont résisté à toutes les intempéries depuis près
de neuf siècles. - - -
Car le temps a été plus respectueux pour le monument que les démolisseurs
du moyen âge, qui ont détruit la nef, jadis unique,'longue de 12 mètres, large
de S, comme on peut le constater d’après les traces de fondations non arrachées
du sol. On ne voit plus debout que le transept et l’abside. Le transept compre- -
nait la croisée (formant choeur), large, comme la nef, de S mètres e t longue seulement
de 3, et deux chapelles (bras de la croix) de 2 mètres de large, avec
absidioles. L’abside est en simple cul-de-four, ainsi que dans les vieilles églises
latines, large aussi de 5 mètres et profonde de 4 ; toutes les voûtes sont en
berceau, c’est-à-dire de la plus ancienne forme. La grande arcade de. Réparation
entre le choeur et la nef disparue est bouchée par un mur de clôture exactement
semblable à celui, du xive ou xv° siècle, qui confine à l ’église. Serait-ce à cétte
époque que la ruine aurait pris place? Nous n ’avons pu trouver de documents-
historiques sur ce point. La chapelle de Bonheur, si insignifiante qu’elle apparaisse
au premier coup d’oeil, est donc un des plus vieux et curieux sanctuaires
conservés en France. Aujourd’h u i elle sert de bergerie, et une couche.épaisse.-.
de fumier a remplacé son antique dallage de marbre ou de mosaïque.
Il y a deux routes de Camprieu à Meyrueis. L’ancienne, la plus courte
(14 kilom.), la plus belle, devenue malheureusement mauvaise faute d’entretien,
suit, à 1,223,1,186,1,183 mètres d’altitude, la crête même de la Croix de fer, ce
pédoncule sans largeur qui relie le causse Noir à l’Aigoual, au nord du vallon
de Sa int-Sauveur-des-Pourcils. De cette langue de terre élevée, la vue est
splendide : d’un côté, au sud, l’alcôve fantastique et la, sortie de Bramabiau,,
bien amoindrie par 200 mètres au moins de contre-bas ; la vallée toujours verdoyante
du Trévesel, dominée à l’horizon par le château d’Espinassous, perché
sur de grands rochers noirâtres ; les bois touffus de Saint-Sauveur et de Cou-
piae, le sommet granitique du Suquet (1,341 m.), les plateaux arides et dénudés ;
du causse Noir, le village dé Lanuéjols et les métairies qui l ’entourent.
1. Dimensions intérieures : longueur, 21 mètres ; largeur dé nef, 5 mètres ; longueur du transept, 9 mètres.
L’AIGOUAL 22?
De l’autre côté, au nord, à 300 mètres de profondeur) les immenses forêts de Ser-
villière et de Roquedols, qui font un abîme de verdure sombre; la coquette petite
ville de Meyrueis, les belles prairies de la Jonte et le portail de son canon,
les croupes gazonnées de l ’Aigoual ; puis,- au second plan, le grand désert du
causse Méjean, avec le mont Lozère dressé à l’horizon. C’est vraiment vaste 1
Au col du Parc aux Loups (1,003 met:), elle rejoint la nouvelle route et en
même temps celle de Lanuéjols et Trêves, puis elle s’enfonce au nord dans
les balsamiques' et géantes sapinières admirées d’en haut.
Là nouvelle route; plus longue (19 kil.j, passe sur le revers nord de Bramabiau
et du Trévesel, au sud et à 100 mètres au-dessous de la première, fait
un grand détour au sud-ouest près de Montjardin, dans la direction de La’nué-
jçls, et, après le col du Parc aux Loups, décrit de plus grands lacets que sa voisine
dans les forêts de Roquedols. '
De Valleraugue; de Camprieu, de Meyrueis, au choix, on peut facilement
gravir lAigoual, roi des Cévennes (1,567 m.), si curieux pour le géologue,
avec ses juxtapositions de terrains divers, schistes cambriens primaires, micaschistes,
chloritoschistes, granits à gros grains, filons de quartz, calcaires
jurassiques, grès et marnes du lias, etc.
« L’Aigoual lève sa roche suprême (1,367 m.) au-dessus du cirque de l’Hort-
Dieu, c’est-à-dire ja rd in de Dieu, jardin céleste. Si, comme on croit, son nom
est le latin aqualis, l’aqueux, on l’a traité suivant ses m é rite s, car il se dresse
au milieu d’une lutte de vents humides; ils soufflent en tout jour, presque à-
toute heure, et si furieux, que les forestiers qui veillent sur ses bois, jadis
hantés par l’ours, aujourd’hui par le loup, avaient ancré leur première cabane
au rocher par six chaînes de fer.
_ « Les pluies y tombent aussi dru, plus' dru peut-être que nulle p a rt en France :
observatoire qu on y bâtit racontera donc mieux qu’aucun autre les batailles
«célestes » de Tannée entre les ouragans arrivés des quatre coins de l’espace
De ce promontoire, campé sur la borne des grands Causses, au-dessus des
plaines enflammées qui vont jusqu’à la frange de la mer, on voit ou l ’on soupçonne
(suivant le temps) la Méditerranée, les Pyrénées du Canigou le Pel-
voux de Vallouise, bastion des Alpes, le Ventoux, la Lozère, des collines des
vallons, des « campos », des plateaux, tout un monde.
«.Déjà la lumière méridionale donne beauté pure, et grandeur sereine-à des
roches nues, qui sans elle seraient ternes, peut-être laides. Sur le versant contraire,
aux altitudes égales, ou supérieures à 1,000 mètres, le long d’affluents
et sous-affluents du Tarn qui s’écartent comme les doigts d’une main grande'
ouverte on se croirait aussi loin du petit fleuve qui court à la Méditerranée
q u u n vallon des Vosges l’est d’un cirque de l’Atlas; un climat hyperhoréen y
règne pendant les longues neiges hivernales qui courbent la branche du hêtre
ou du châtaignier et blanchissent les aiguilles du pin sylvestre; mais en été
en automne, au printemps, ces torrents sont gais, ces forêts ombreuses,, ce^
prairies émaillées de fleurs. » (O . R eclus.)
Le général Perrier et le savant M. G. Fabre, inspecteur des forêts à Nîmes,
ont fondé 1 observatoire de l’Aigoual, projeté par M. Viguier dès 1878, dont les
constructions ne sont pas encore achevées, mais qui fonctionne provisoirement
L o f 8 Tb,ara(F,eme,lts en Penches, en attendant l ’inauguration définitive
en 1891. L emplacement en est peut-être encore plus favorable aux observa