
 
        
         
		A  gauche,  le Palais  du  Roi  (4,440  m.)  est la  racine  même  de  la  chaîne  de  la  
 Margeride,  cette «  longue  ligne  noire  dans  le  ciel  de  la  France  centrale,  cette  
 espece  de  muraille  sans  créneaux,  sans  tours  et  sans  clochers  »,  qui  unit  le  
 Cantal  aux  Cévennes  et qui  culmine,  tout près  dudit  Palais,' dans le  Truc  de For-  
 tiimo (1,543)  et le  signal de R a n d o n (l,554);  en Lozère,  l’Aubrac  et la Margeride  
 sont collectivement  désignés  sous  le  nom  de. «  la montagne  » ;  mais  leurs  sommets  
 font saillie de 150 à  350 mètres au plus au-dessus des pâturages  et  cailloutis  
 d alentour. 
 A  1,265  mètres,  une «  pyramide  de  granit  »  signale  le  point  le  plus  élevé  de  
 la loute,  entre  les  bassins  du  Lot  et  de  l'Ailier.  A droite,  une  route descend  à  
 Bagnols-les-Bains  et  passe  près  A’Aliène  (803  liab.  la  comm.,  342  aggl.),  où  se  
 Rencontrent  souvent  des  monnaies  romaines  enfouies.  Puis  on  s’âbaisse  vers  
 l ’Habitarelle,  simple  relais  où  le  monument  do  Duguesclin1  rappelle  le  plus  
 grand  souvenir  historique  de  toute  la  contrée,  à  dix minutes  de  Chàteauneuf-  
 de-Randon (768  hab.  la  comm.,  428  aggl.),  perché  sur  une  colline  (1,290  m .) e t  
 devenu bien  misérable,  quoique  chef-lieu  de  canton!  C’est  une  ville  triste,  au-  
 dessus  du  vallon  triste, qui  vit  la mort  de Duguesclin  (13 juillet  138(1). 
 Et  puis,  comme  en  traversant  le Larzac,  il n ’y  a  plus qu’à  sommeiller  le  long  
 de  la  route  insignifiante  qui  aboutit  à  Langogne (3,808  bab.  la  comm.,  3,290  
 *)eJ ^ us m6ne ali  train de  Paris, dans lequel on parcourt trop vite les magnifiques  
 défilés  basaltiques de  l’Ailier,  entre la Margeride et le Yelay. 
 Ainsi  finit notre voyage des Causses, mais non pas le livre lui-même, car divers  
 sujets scientifiques nous  restent  à  esquisser  à  larges  traits ;  et  si  nous négligeons  
 Marvejols,  les  vallons  de  la  Colagne,  la Margeride  et  l’illustre  pont  de  Garabit,  
 nous ne  pouvons  quitter la Lozère  sans parler d’un plateau .peut-être plus  ingrat  
 et plus inconnu  encore que peux dos Causses,  l’Aubrac. 
 CHAPITRE  XIX  
 l ’a u b r a c 
 L^ l " ^ - , LeS  0nr’ageS-  T   AsPeot  m o t t e . -D e   Chaudes-Aigues  à 
 Espalion.  -   La Guiole.  -  Bonneval. -   La  vallee  de  Saint-Chély-d’Aufirac. — Aubrac  :  calme  
 et solitude.  -  Notre-Dame des Pauvres. -   La cloche  des  Perdus.- -  Un  four  dans un clocher. 
 '  m  ,  PaiPB  ,Alexand™  111  e t- Ie  Saint-Bernard  de  PAubrac. —  Signal  de  Mailhebiau. — Le  
 plateau  des lacs,  - t ê t e s   et  castors  du lac de  Saint-AndéoL  -  Cascade Deroc.  -   Le ruisseau  
 des Pleches. — De Marvejols àNasbinals. -  M"? de Fontanges. - L ’âme  de César. -  Excursion  
 au  château  d Arzenc.  -   Villages  gaulois. — .Voie  et  station  romaines.  -  Tumuli.  7   Noms  
 de  l’Auvergne  a8eS  fromaSes- —  Le  glacier du  Bès. — Basaltes  tertiaires de   l ’Aubrac  et. 
 Misée  Reclus  n ’a  consacré  à l’Aubrac  qu’une  demi-page  de  sa  Géographie  de  
 la  France; il y  a  d intéressants  détails dans  le Guide  Joanne  des  Cévennes; mais 
 t .   G a u t i e r ,   a r c h i t e c t e ,   le Monument de Duguesclin élevé i  l’HaUiarelle :  Annuaire d e   1 8 2 8 ,  ’ 
 ce  sont  surtout  les  Mémoires  du  docteur Pruiiières  et  de  M.  de  Malafos.se,  disséminés  
 dans  divers  recueils  scientifiques,  qui  ont  révélé.les  côtés  les  plus  curieux, 
   agriculture,  géologie  et  préhistoire,  de  ce  canton  peu  connu  d’Aubrac.  
 En  somme,  la monographie  du  pays  reste  à faire,  grand  travail  dont  le  présent  
 chapitre n ’est  que  le sommaire.. 
 L’Aubrac  est ce  plateau,  long  de  15  lieues,  large  de  13,  en  forme  de  pointe  
 de  flèche  arrondie,  qui  se  rattache  vers  l’est,  par un  étroit pédoncule,  au  point  
 culminant  des  monts  de  la  Margeride,  le  signal  de  Randon  (1,554  m.),  entre  
 Saint-Amans-la-Lozère,  chef-lieu  de canton  (393  hab.  la  comm;,  2 12   aggl.),  et  
 Châteauneuf-do-Randon ;  sur  tout  le  reste  de  son  pourtour,  la  Colagne,  le  Lot  
 et  la  Truyère  l’isolent  des  Causses  et-du Cantal;  le  Bès,  affluent gauche  de  la  
 Truyère,  partage  en  deux  son  ellipse  irrégulière,  dont  toutes  les  eaux  descendent  
 au Lot.- 
 Brusquement  coupé à l’ouest  et a u  sud  sur cette  rivière,  il s’incline  doucement  
 au nord  et  à  l’est. Vers  Je  confluent  du  Lot  et  de  la Truyère,  son  soubassement  
 s’appelle plateau de  la  Vadène1; 
 « Sa  base de  schiste  et  de.  granit  est  revêtue  d’une  large  nappe  de matière  
 volcanique...  Pendant plusieurs heures de marche,  on  n ’y  rencontre  ni  un  arbre  
 ni  un  buisson,  rien que  des  fleurs  au  printemps,  de  l’herbe  en  été,  de  la  neige  
 en  automne  et  en hiver.  » 
 On ne peut nier que dans la belle  saison cette  immensité de pâturages,  émaillés  
 de  fleurs  aux milles  couleurs,  animés de troupeaux bruyants,  n ’ait un particulier  
 cachet  de  grandeur  et  d’originalité  :  c’est  la  pampa  argentine;  la  savane  du  
 Missouri,  l’infini  de  la  mer  en  un  mot;  aussi  l ’a-t-on  appelée  un  petit  «  Far  
 West »,  un  «  désert  d’herbes  ». Mais sur cet  océan  de verdure les  rudes  éléments  
 sont  les-maîtres,  et  leurs  caprices  deviennent terribles  à  1,300 mètres  d’altitude,  
 sans rideaux  de  montagnes  pour les  refréner  ;  le  3  septembre  1884,  pendant un  
 Orage  d’une  violence  inouïe,  un  seul  coup  de tonnerre  tua  480 moutons  dans  un  
 parc de  1,700 têtes. Quand les froides bises de l’automne balayent la plane surface;  
 quand  les bruyères  sont  desséchées  et les bestiaux descendus  en  plaine,  le spleen  
 seul  règne  là-haut,  où  rien  ne  rompt  la  monotonie  et  l’uniformité.  Comment  
 peuvent  subsister  les  gens  de  la  Calm,  de  la  Guiole,  de Sairit-Ureize ou de Nasbinals, 
  alors que l’hiver autour d’eux  ensevelit toute-vie sous  son  suaire  de neige?  
 Aussi leur  caractère  fut-il  longtemps  sombre et farouche, et, jusqu’à  ces dernières  
 années,  les  bastonnades  et  lès  rixes  ensanglantaient  bien  des  veillées.  Hâtons-  
 nous  d’ajouter que  les  juges  de  paix  et  les  maires,  aujourd’hui,  n ’ont plus  de  
 pareils désordres  à réprimer. La bourrée  et la musette  sont actuellement les  seuls  
 restes de  cette  turbulence si  redoutée.. 
 Donc  la traversée du plateau paraît  longue ; et quand on vient de Marvejols,  de  
 la  Margeride  ou  de Saint-Flour,  on  s’enfonce  avec  délices,  après  8  ou  10  lieues  
 de  tourbières  et  d’humides  pacages,  dans  les  sombres  vallées  du versant sùd-  
 ouest. Toutes  les Boraldes ou rivières qui  descendent  au  Lot  (Mardon, Merdan-  
 son, Moussaaroux,  Mossau,  etc.) sont  pittoresquement  bordées  de  belles  forêts,  
 presque  aussi  noires  que  les  colonnades  basaltiques  des  croupes  de  partage;  
 les jolis  sites  et  les  hardis  rochers  ne  manquent pas  dans  les  bas  thalwegs,  cela  
 est  incontestable;  mais  l ’Aubrac  est  bien  désavantageusement  situé  pour  la 
 1.  Voir la  carte de rétat-major au 80,000?;  feuilles  de  Saint-Flour  (185),  Figeac  (195)  el Meiide (196).  -