Riou-Sec, qui forment, en quelque sorte, avec la Dourbie les fossés de la place,
quatre ravins entaillent profondément la déclivité rapide du causse Noir, le socle
qui porte Montpellier-le-Vieux, l’escarpe de l’ensemble : ce sont, de l’ouest à l’est,
le Doul, le Canazels, la Combe et les Bouxés; les trois premiers, affluents de la
Dourbie; le quatrième, tributaire du Riou-Sec; chacun de ces torrents, presque
toujours à sec, prend naissance dans un des cirques. Mais ici nous anticipons et,
pour mieux saisir l’aspect général, supposons-nous sur le causse Noir, à Mau-
bert, et dirigeons-nous vers le sud-est : après avoir dépassé le point coté 822
(carte au 80,000*), nous descendons sur une sorte de remblai élevé entre deux
profondes dépressions ; ne nous arrêtons pas aux détails et escaladons immédiatement
la plus haute roclie de Montpellier, la Ciutad (830 m.). De là on embrasse
la ville entière, et l’on distingue : à l’ouest, une grande enceinte ovale allongée
du nord au sud : c’est la Millière, tête du ravin du Doul ; au sud, le cirque des
Rouquettes, qui s’ouvre sur le ravin de Canazels ; au sud-est, les Amats, vaste
enclos trapézoïde où nait le ravin de la Combe; au nord-est enfin, le Lac,
immense bassin rond débouchant dans le ravin des Bouxés ou Bouïssés (en
patois buis). Trois hautes crêtes divergeant du centre séparent ces quatre parties;
complétant le circuit, on trouve, entre le Lac et la Millière, une large plateforme
(le remblai par où nous sommes arrivés) surmontée de donjons et partagée
en salles et galeries : elle a été fort justement appelée la Citadelle. C’est le capitale
de Montpellier-le-Vieux, l’acropole des Cévennes. A in si, une sorte de forteresse
centrale dominant circulairement, et de 100 à 124 mètres de hauteur, la
ville proprement dite (la Millière), un amphithéâtre (les Rouquettes), un Champ
de Mars ou place d’Àrmes (les Amats), et un Colisée (lè Lac), tel est le plan fort
simple de la prétendue cité du Diable. Il y a bien encore vers le sud-est une assez
jolie annexe dans l’étroit et long cirque de la Citerne, parallèle à celui des Amats ;
mais cette partie peut n ’être considérée que comme un chemin de ronde extérieur.
Disons en passant qu’elle doit son nom à la seule citerne de l’endroit ; l’eau
y est excellente, et c’est là le rendez-vous des touristes pour l’heure de midi.
Que le lecteur me pardonne ce petit détail trop positif : il pourra lui être utile à
l ’occasion.
Quant à l’histoire de la découverte, la voici : de 1880 à 1882, un grand propriétaire
du causse Noir, M. de Barbeyrac, fit, d'après de vagues indications,
quelques tentatives préliminaires sur la mystérieuse cité, en compagnie de ses
parents, MM. de Riencourt, Joseph de Malafosse et Louis de Malafosse. Le 10 mai
1883, ils opéraient la première visite sérieuse, partielle cependant; c’est alors
que M. Louis de Malafosse révéla officiellement Montpellier-le-Vieux dans le Bulletin
n° 8 de la Société de géographie de Toulouse, tandis que M. de Barbeyrac
adressait un article anonyme au journal l’Éclair de Montpellier. En 1884,
M. Chabanon et moi nous vînmes photographier le chaos et en reconnaître les
principales parties ; quelques touristes nous suivirent, entre autres MM. Julien
(de Millau) et Trutat (de Toulouse), qui en rapportèrent aussi de beaux clichés. En
1885 enfin, j ’ai levé au 10,000° le plan topographique détaillé, et plusieurs
centaines de visiteurs sont montés à la suite des premiers. Depuis, leur nombre
s ’accroît chaque année.
Les habitants de Maubert, hameau situé à dix minutes des simili-ruines, disent
bien qu’il y au n e trentaine d’années un des leurs (mort aujourd’hui) vit en Afrique,
au régiment, un dessin où il reconnut ses rochers de Montpelher-le-Vieux, et
qu’il y a longtemps, un monsieur passa chez eux dix jours et employa tout son
temps à tirer des plans (lisez à dessiner)1 ; mais ce précurseur n ’a pas donné
signe "de vie, n ’a pas fait connaître . sa découverte; rien n ’a été publié avant
1883 ; c’est donc à l’opuscule de M. Louis de Malafosse seulement que remonte
l’acquisition géographique de Montpellier-le-Vieux.
Auparavant, personne n ’avajt traversé le chaos dans son entier : faute de
guides connaissant les brèches praticables, aucun des touristes de Millau qui,
attirés par une réputation mystérieuse, avaient tenté l’escalade, ne s’était élevé
même jusqu’au rempart extérieur.
La Citadelle. — Dessin de Vuillier, phot. Gha,banon.
(Coramunitiué par lé Club a lpin .), ’
Pourquoi ce site est-il resté si longtemps ignoré des promeneurs et des géographes?
Pour deux raisons : d’abord parce que les murailles qui lui servent de
soubassement, de piédestal, ne diffèrent en rien des remparts analogues du
pays des Causses, et que des rives de la Dourbie on ne pouvait supposer l’intérieur
de la formation dolomitique aussi capricieusement évidé : du fond de
la vallée, rien ne fait pressentir l’oeuvre immense d’érosion qui s’est accomplie
derrière ces murailles;, puis, autre raison, parce que les habitants d’alentour
1. J ai appris récemment que ces dessins étaient dus à l’un des officiers qui avaient levé, vers 1854,. cette
^ Sévérac ; un dessinateur du service géographique de l’armée se rappelle avoir vu
jadis des aquarelles de Montpellier-le-Vieux ; malheureusement ces aquarelles ont été dispersées, ou perdues
a la mort de leur auteur.